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LE SOURIRE DE VIVALDI par Xuan VINCENT

LE SOURIRE DE VIVALDI

Eva lisait. Soudain, elle se sentit observée.

 

« Il a ses yeux... »

 

Le visiteur continuait à la fixer en silence. Un sourire flottait sur sa face rousse. Eva ne pouvait détacher son regard de ses prunelles dorées. La tension devint trop forte.

 

« Est-ce toi que j’ai vu l’autre jour sur la terrasse ? J'avançais dans ce long couloir désert, si haut perché… Ta silhouette attira mon attention. Tu me regardais. Ce ne pouvait être que toi, tu as exactement son regard… J’aurais voulu être comme toi, libre… Tu me paraissais si lointain que cela me faisait mal… Si seulement j’avais pu te rejoindre… Mais tu poursuivis ton chemin… Je m’étais sentie d’un coup très seule… Depuis ce jour, j’espère te revoir… Je suis si heureuse que tu sois là… »

 

Le visiteur s’approcha d’elle. Eva, s’interrompit, le cœur battant. Elle ouvrit la fenêtre. Il n’entra pas dans la pièce. Mais ses yeux s’arrêtèrent sur les peluches qui encombraient le bureau. Encouragée par son regard, Eva poursuivit :

 

« Tu t’exprimes avec les yeux et pourtant je te comprends… Tu me fais tant penser à lui, c’est comme s’il était là… Me croiras-tu si un simple regard peut bouleverser une vie ? Je voudrais lui parler mais les mots me manquent… Je le vois partout, son prénom me hante… »

 

Ces paroles semblèrent l’attrister. Pourtant, une lueur dans ses yeux parut lui signifier « Aie foi en toi et confiance en l’avenir ». Puis, sans se retourner, il s’en alla. Elle le regarda partir, songeuse. Le sourire de l’autre avait disparu, l’enchantement était rompu. Elle ne voyait plus qu’un chat roux, un vulgaire animal s’éloignant vers une autre bâtisse.

 

2

 

« Si seulement je pouvais le revoir… ». Depuis sa rencontre avec le chat roux, Eva ne savait plus si cette prière s’adressait à l’homme ou à l’animal…

 

Un fauve aux yeux dorés la poursuivait à travers les marécages. Il allait fondre sur elle… Eva hurla d’effroi… L’animal avait disparu, elle s’était endormie sur son clavier ! Elle n’était pas seule pourtant, quelqu’un l’épiait… Etait-elle vraiment sortie de son cauchemar ? Elle tourna la tête. Le chat roux était là, derrière la vitre ! Son regard, celui de l’autre, était toujours aussi beau. Il était là tout près d’elle et l'attendait. Mais pour le rejoindre, il lui fallait sortir par la fenêtre et surmonter sa crainte du vide Une petite voix lui disait que c’était folie de vouloir suivre cet animal et de croire qu’il pouvait la comprendre mieux que quiconque. Pourtant, le regard magnétique du félin eut raison de sa peur. Toute étonnée, elle se retrouva de l’autre côté. Le chat se mit à avancer sur la terrasse, d’un pas tranquille. Eva le suivit, encore peu rassurée. La rambarde était si basse et si proche du précipice…

 

En compagnie du petit fauve, sa peur s’envola. De là-haut, tout était différent. La beauté de la ville la stupéfia. Les hautes tours, les taches de couleurs que formaient les grands marronniers, les drapeaux flottant au vent ou encore les coupoles dorées qui commençaient à étinceler au soleil de l’aube, tout était lumière et gaieté. Quel changement avec la pièce sombre où elle passait ses journées…

 

« C’est ici que je t’ai aperçu la première fois… Je n’oublierai jamais ton regard… C’est curieux de voir ce couloir de l’extérieur, on dirait qu’il dessert les cellules d’une prison… ». Le chat roux poursuivit son chemin. Jamais il n’aurait accepté de poser une patte à l’intérieur de ce bâtiment ! Sa vie était ailleurs, au grand air, loin des hommes. Il souhaitait mener Eva à un endroit où il n’était pas retourné depuis longtemps. Pour cela, il lui fallut franchir différents obstacles. Ils empruntèrent une longue passerelle surplombant le vide, sautèrent d’un toit à l’autre… La peur par moments la tenaillait mais à chaque passage difficile dépassé, elle se réjouissait. La liberté valait bien quelques frissons !

 

Plus tard, le félin s’arrêta et la regarda. Sur le coup, Eva resta interdite. Il l’avait conduite sur le lieu même de sa rencontre avec l’autre… Le petit lac bordé de statues, les fleurs aquatiques, le feuillage des arbres, elle n’avait rien oublié. Surtout, le sourire qu’il lui adressait la remplissait de joie. Mise en confiance, elle se mit à lui parler, d’elle, des personnes qu’elle aimait… Pour la première fois, elle eut à cœur de comprendre qui il était. Séduite par son sourire, elle l’avait suivi alors qu’elle ne savait encore rien de lui… Les endroits les plus secrets de la ville étaient son royaume. Il s’appelait Vivaldi, parce que sa mère avait rencontré son futur père sur la musique des « Quatre saisons ». Elle l’imaginait devenir violoniste. Vivaldi n’avait pourtant pas montré de disposition particulière pour la musique et son nom lui causa maintes railleries de la part de ses camarades. En revanche, il se passionna pour la sculpture. Il mettait dans ses oeuvres toute la beauté qu’il percevait dans les êtres qu’il rencontrait. Seules des personnes libres comme lui étaient à même de les découvrir… Soudain, Eva sentit le regard doré du chat se poser sur elle. « Vivaldi, je dois rentrer… ». A regret, elle le laissa poursuivre sa route.

 

 

3

 

Eva attendait son retour. Elle ne vivait plus que dans cette attente. Son regard, qui continuait à se mêler à celui de l’autre, venait danser devant ses yeux, le jour comme la nuit. Pourquoi ne venait-il pas la voir ? L’oubliait-il déjà ? Un matin, il apparut à la fenêtre. Il avait perçu son appel ! Elle répondit à son regard. Il revint. Il arrivait à l’improviste, la surprenant perdue au milieu de ses pensées, dans cette pièce déserte. Elle aimait l’accompagner dans ses balades et lui confier ce qui l’avait émerveillée ou attristée. Parfois, il se contentait d’une courte visite. Mais son regard suffisait à éclairer le restant de sa journée.

 

« Cette statue à côté de nous, elle a bougé ! » Le chat roux la rassura du regard. Il s’agissait d’un centaure féminin d’une grande beauté, dirigeant son arc haut vers le ciel. Curieusement, les traits de sa face étaient absents. Eva la reconnut aussitôt, c’était une sculpture de Vivaldi. A mesure qu’elle l’observait, la sculpture prit figure humaine. « C’est moi ?! On dirait mon visage. Il est beau… » Eva entendit une voix, celle de Vivaldi, lui souffler « Je l’ai modelée avec mon cœur mais toi seule peut me dire comment tu la perçois… ». Eva resta un moment songeuse. Le regard du félin la tira de ses pensées. A quoi bon chercher à comprendre, n’était-elle pas heureuse ?


(…)

octobre 2007

Si vous souhaitez connaître la suite de cette histoire (4 p.), n'hésitez pas à m'écrire.
Xuan Vincent


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