Ce matin‑là, Pangdorn se réveilla en sursaut en constatant que la lumière encastrée s'était rallumée.
De son bras replié, il protégea son unique oeil des rais blafards qui tombaient du plafond et il se leva doucement en prenant garde de ne pas tomber de la planche.
L'homme se tortilla avec de petits tressaillements pour atteindre le bord du lit et il sauta par terre, sur les deux moignons grotesques qui remplaçaient ses jambes.
En se déhanchant fortement, il atteignit le lavabo et poussa de côté sa poche intestinale, pour éviter de la percer.
Pangdorn tendit les bras et récolta péniblement un peu d'eau entre ses 6 doigts pour s'abreuver, quant une douleur effroyable le tirailla subitement, lui rappelant qu'il s'était trop éloigné de sa couchette à laquelle il était relié par le tube.
Le tube !
Le tube était une sorte de tuyau immonde, greffé sur son abdomen, qui assurait la dialyse péritonéale en lieu et place du rein gauche qu'ils lui avaient enlevé.
Ils n'allaient plus tarder.
D'un moment à l'autre, la lourde porte allait s'ouvrir, et une fois encore, ils allaient l'emmener pour le mutiler.
Pangdorn tenta de penser à autre chose, mais les images subliminales de la première opération qu'il avait subie lui revinrent à l'esprit.
Deux types étaient tout d'abord entrés à toute vitesse, l'un d'eux l'avait maîtrisé au sol, tandis que l'autre lui avait inoculé un produit paralysant. Il s'était senti faible, très faible, totalement impuissant ! Impuissant, mais conscient. Les silhouettes masquées de ses tortionnaires se reflétèrent encore dans son unique oeil, et puis, ils l'avaient emmené.
Sans ménagement, ils l'avaient jeté sur une civière à roulettes et pendant que trois ou quatre médecins relisaient son dossier, on l'avait poussé jusqu'en salle d'opération.
Tout avait été très vite, ils l'avaient étendu puis attaché sur la table, ils avaient rectifié la lumière suspendue et ensuite, ils lui avaient ôté son pantalon.
Le bruit ! Le bruit atroce du bistouri électrique avait été plus horrible que tout !
Quelques secondes qui parurent durer une éternité suffirent pour qu'ils terminent de l'émasculer.
Un autre type en blanc l'avait recousu pendant qu'une infirmière plaçait judicieusement le petit embout de bakélite qui allait lui permettre de continuer à uriner presque sans problème...
Pangdorn frissonna.
Qu'allaient‑ils encore lui faire ?
A chaque fois que la lumière s'allumait, cela signifiait qu'ils allaient arriver !
L'ignorance était sans doute la plus insupportable des tortures qu'il endurait.
Ne pas savoir !
Ne pas savoir lequel de ses organes ils allaient lui enlever !
La seconde opération avait été celle de son oeil droit.
Quand il s'était réveillé, quelques temps après l'intervention, Pangdorn n'avait pas tout de suite compris ce qui s'était passé. Il s'était assis sur sa couchette et avait observé ses mains, ses jambes, son corps, et ce n'est qu'après quelques minutes qu'il s'était rendu compte qu'ils lui avaient enlevé un oeil !
Il tira le tube de côté et tituba jusqu'au lit. Dans un effort presque surhumain, il grimpa de nouveau sur cette maudite planche qui lui labourait le dos et s'y écroula résolument, impuissant face à cette situation.
La troisième opération avait été un peu plus longue et un peu plus périlleuse.
Ils lui avaient prélevé l'intestin grêle !
Cette fois‑là, Pangdorn n'avait rien vu, ils avaient pris soin de l'anesthésier complètement, tandis que durant des heures, des spécialistes avaient opéré savamment pour lui enlever l'intestin.
Avec un peu de chance, cette fois, il y resterait !
Mourir pendant l'une de leurs opérations, c'est à peu près tout ce que Pangdorn pouvait encore espérer. Mourir en dormant ! Une mort sublime ! Une mort impeccable !
Mais ses tortionnaires n'étaient pas des amateurs, c'étaient des professionnels, d'imminents chirurgiens qui avaient le respect de la vie et qui justement prenaient toutes les précautions nécessaires pour le préserver en vie le plus longtemps possible.
La quatrième opération lui avait totalement brisé le moral.
Quand Pangdorn avait repris conscience, il avait d'emblée ressenti ce mal étrange des membres fantômes, et comme par instinct, il avait tout de suite vérifié sous la couverture de sa couchette...
Ils lui avaient pris ses jambes ! Les deux jambes d'un coup, jusqu'au dessus du genou, ses deux jambes !
L'homme en avait pleuré !
Les deux opérations suivantes avaient été plus bénignes, ils lui avaient pris ses doigts.
4 doigts. Les deux pouces, un index et un auriculaire !
Au loin, dans le long couloir étroit, Pangdorn entendit les portes s'ouvrir et puis se refermer sur ceux qui venaient vers lui. Il ravala sa salive, songeant à la dernière opération qu'il avait subi: l'ablation du rein gauche et qui avait eu pour conséquence de l'enchaîner naturellement au mur de sa cellule. Le tube, la meilleure des sécurités !
Les loquets de sûreté pivotèrent et deux gardes se tinrent debout dans l'entrée.
Pangdorn les questionna de son regard atrophié, mais implacables, les hommes au visage sévère ne sourcillèrent même pas.
Un médecin en blanc, le nez plongé dans le dossier qu'il tenait à deux mains, s'avança vers l'infirme.
‑ Monsieur Pangdorn, enfin voilà, c'est pour aujourd'hui !
‑ Que ? quoi ?
‑ Votre coeur Monsieur Pangdorn, nous allons opérer et prélever votre coeur ! lâcha le docteur sur un ton neutre.
‑ Mon coeur ? mais, vous n'avez pas le droit, et la convention ?
‑ C'est un besoin urgent Monsieur Pangdorn, nous n'avons pas le choix, vous devez payer vos dettes envers la société !
‑ Mais ! Pangdorn n'eut pas le temps d'émettre un second avis, on lui injecta une forte dose de calmant et il sombra dans une paralysie partielle qui ne lui permit plus de réagir mais qui garantit à ses geôliers que Pangdorn resterait conscient tout au long de cette ultime intervention chirurgicale.
Deux hommes vêtus en bleu l'emportèrent vers la salle d'opération.
L'un d'entre eux questionna son collègue:
‑ Qui est‑ce ?
‑ Pangdorn, Mark Pangdorn ! dit l'autre.
‑ Le monstre ?
‑ Le gros enculé de monstre, oui, c'est lui !
Les deux hommes se regardèrent mutuellement et puis, ils accélérèrent davantage, poussant la civière avec rage au coeur.
Les portes automatiques se refermèrent derrière eux...
Mark Pangdorn, surnommé le monstre, était cet horrible pédophile qui avait été arrêté et condamné pour le rapt de 6 enfants qu'il avait avoué avoir séquestrés, torturés, violés et sournoisement laissés mourir de faim !
Mark Pangdorn était cette grosse crapule, ce désaxé, ce dangereux prédateur, cette immonde créature qui avait écopé de la Perpétuité avec obligation connexe de faire don de ses organes aux nécessiteux au moment opportun...
Cette année‑là, et les suivantes, le nombre d'enfants victimes d'agressions sexuelles chuta fortement pour atteindre un niveau quasi nul...
FIN ...
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Style : Poème | Par tehel | Voir tous ses textes | Visite : 948
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Commentaires :
pseudo : volatile
Texte fort, qui me faisait sourire nerveusement au début car je me demandais vraiment où ce texte voulait aller. Et puis la fin explique tout le texte... Cela semble efficace.
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