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MALAISE par tehel

MALAISE

 

Tout avait été très vite, le voile noir sur mes yeux, le trou noir, profond et interminable.  Un malaise...

La litanie des sirènes, les reflets giratoires des feux bleus, le visage sérieux du secouriste inquiet et les remous des cahots de l'ambulance.  La température, le soleil, l'air lourd et insupportable.  L'énervement et le stress, la syncope !

Rien de grave avait murmuré l'homme en tablier blanc sur lequel une petite pochette de plastique transparent contenant une carte de médecin balançait nonchalamment.  Un peu de repos et tout rentrera dans l'ordre !

Les urgences.

Défilé de néons blafards et lugubres, aux grillages jaunis, qui brûlent les yeux, puis, la chambre.  Plus de place ailleurs, une chambre à trois lits, dont un inoccupé.  On pousse la civière et on m'installe sur le lit qui porte désormais mon nom.  Quelques vitamines et un remontant.

Plus d'inquiétude à avoir, tout est correct !  La chaleur moite des hôpitaux ne fait pas exception ici, l'atmosphère semble viciée et irrespirable tant l'air est infecte.  Les souvenirs reviennent très vite.

A côté, le vacarme d'une machine qui aide l'autre à respirer, le beep caustique de l'appareil de contrôle de son rythme cardiaque, la torture du goutte à goutte qui résonne sournoisement sur le carrelage usé de la chambre.  L'autre dort !  Oui, il dort, ou du moins, il s'est assoupi.  Le temps ralentit pour presque s'arrêter.  C'est le week-end, deux jours interminables à attendre !

Les vitres malpropres reflètent les rayons du soleil sans pitié, quelle horreur !

Une infirmière entre avec le plateau contenant le repas.  Désillusions !  Ce n'est pas une jolie fille en blanc avec des formes généreuses et agréables à la vue, ce n'est pas une fille dont on aperçoit les bords de la culotte sous son tablier transparent, c'est une espèce de monstre gras et difforme au visage défiguré par un sourire forcé, une sorte de dinosaure disparu.  Désillusions, ce n'est pas mon repas, c'est un plateau pour l'autre.

L'autre, l'horrible bonne femme le réveille péniblement.  Elle débranche les appareils et l'aide à se lever.  C'est presque un zombie, c'est un mort qu'on vient de déterrer !  Il est pâle et tout ridé, il tremble comme une vieille feuille, sa peau est fade et sillonnée d'un milliard de rides profondes.  Il se met à tousser.  Dégoûtant !  Il tousse à en perdre haleine, c'est répugnant, il se tord dans un mouvement convulsif et spasmodique, l'immonde femme lui tend un baquet où il expectore un morceau de poumon.  Bon appétit !  La sorcière déplace le monitoring et surveille le cadran incompréhensible pour les mortels comme moi, elle crie à l'oreille de l'autre que tout est en ordre !

Quelle dérision !  Tout va bien !  Comme si ce type allait bien !  Il ne va pas bien du tout et il vaudrait même mieux préciser qu'il ne va pas du tout !  Aller bien, quelle ironie !  D'ailleurs, qu'est‑ce que ça veut dire aller ?

Pas un regard, pas un geste pour moi.  La mégère disparaît derrière la porte.  Une cigarette !  Un million pour une cigarette !

D'abords se lever, doucement, ne pas brusquer.  Tiens, l'autre me remarque enfin !  Catastrophe, tout se remet à tourner, le manège étourdissant de l'évanouissement recommence sa torture !  La cigarette attendra.  L'autre n'a pas sourcillé, il semble n'attendre plus qu'une seule chose: crever !  Il sonne.  La grosse vient l'aider à se recoucher.

N'y aurait‑il pas moyen de fermer un peu les rideaux ?  Ce maudit soleil ...  Trop tard, elle était pressée et n'a pas entendu.  Sonner pour la rappeler ?  Inutile, elle reviendra bien.  Quelques gouttes de sueur ruissellent sur les draps amidonnés.  L'autre et tout son attirail recommencent leur tintamarre assourdissant.  La migraine !

Le soleil, la migraine, l'énervement, l'envie d'une cigarette.  Tout un programme !

Patience, patience, patience, patience.

L'autre sonne.  Enfin un peu de spectacle, de l'animation.  Qu'est‑ce qu'il fiche ?  Mais oui, il est en train d'étouffer.  C'est ça, il reste dedans !

Et la grosse ?  Qu'est‑ce qu'elle fout ?  Elle en met du temps à venir !  Ca y est, l'autre a arraché les fils de son goutte à goutte, le monitoring se met à siffler désagréablement.  Qu'elle se grouille les fesses, c'est insupportable, qu'on en finisse !

La porte s'ouvre, une tête passe distraitement, l'expression du visage semble vouloir dire: tout va bien hein ?  Tout est en ordre ?  C'est une erreur n'est‑ce pas ?  Non, ce n'est pas une erreur, l'autre est en train de passer l'arme à gauche !  L'infirmière entre enfin.  Ce n'est pas celle de tantôt mais elle ne vaut guère mieux !  Une ruine !  J'ignorais qu'à l'âge qu'elle paraît avoir, on pouvait encore exercer une profession quelconque !  Et hop, une injection !  L'autre retrouve un certain calme, ses yeux remercient la dame mille fois.  Elle me sourit et m'explique que c'est un malheureux, qu'il a 93 ans, aucune famille et que ces deux dernières années, il a passé plus de temps dans ce lit qu'à l'extérieur.  A défaut d'être jolie, elle est gentille.  Enfin, elle prend l'initiative de fermer les rideaux et d'ouvrir un peu la fenêtre.  Dans sa petite tête, elle a conclu qu'il faisait étouffant ici !  Brave femme !

A peine a‑t‑elle passé la porte que l'autre sonne à nouveau.  L'infirmière revient.  Quel calvaire pour ces gens‑là !  L'autre lui raconte dans un langage incompréhensible que le courant d'air le dérange.  Et voilà maintenant qu'il faut refermer la fenêtre !  Ce n'est pas possible !  Je peux me lever pour fumer une cigarette ?  Pas question, d'un instant à l'autre on viendra me chercher pour des examens !  Des examens ?  Mais, je ne suis pas malade, j'ai juste eu un petit malaise, rien qu'un tout petit malaise, le soleil, c'est tout !

Allons, allons, un peu de patience, un peu de patience, patience, patience...

Le calme revient.

Enfin le calme !  Le calme heu, façon de parler.  Les clapotis de l'appareil respiratoire, le beep énervant du monitoring, l'échos du goutte à goutte, les râles de l'autre, une mouche qui visite et le silence !

On va ne va pas tarder à venir vous chercher !

Tout est relatif, ne pas tarder, c'est ne pas traîner, faire au plus vite, c'est imminent, mais dans cet hôpital, ne pas traîner, ça veut dire, quand on aura le temps, quand on y pensera, quand on aura plus rien d'autre à faire.

Le temps paresse à l'allure d'un escargot sous perfusion.

Patience, patience...

Dans le couloir, l'effervescence des visites a commencé.  Heureusement, l'autre n'a plus de famille, pas de danger que l'un ou l'autre enquiquineur ne vienne surcharger l'atmosphère déjà fort encombrée !

Quelle chaleur !  Et l'autre qui n'arrête pas de dormir et de ronfler !

On m'a oublié, ce n'est pas possible autrement, on m'a oublié !

Même la mouche de tantôt semble s'embêter au plafond.  Patience, patience...

...

L'infirmière de ce midi arrive avec un plateau.  Toujours pas de plateau pour moi.  Le médecin n'a rien dit du tout, alors vous pensez bien, eux, pas d'initiative !  Mais j'ai faim moi !

On va voir ce qu'on peut faire pour moi, voir tantôt ce qu'il restera, après que tout le monde aura fini son repas, après que tout le monde qui travaille ici se soit servi, après que les mouches aient dégusté les dernières miettes.  Patience, patience.

Même cinéma, l'autre est déconnecté.  Misère, qu'il souffre !  Ambiance et cotillons, c'est incroyable le bruit qu'il fait en mangeant.  Au moins, j'en ai pour mon argent.  Je n'ai pas le goût, presque rien de l'image, pas l'odeur non plus, mais j'ai le son !  Comme mon ouïe fonctionne à merveilles, c'est en stéréo en plus !  En français, on appelle ça avaler, ici, je dirais plutôt gargariser. Ça a l'air bon malgré tout.

On le déménage et on le rebranche.  Quel cinéma !

Une plante, une veille plante poussiéreuse qu'il faut garder sous verre et surveiller 24 heures sur 24 !

Un infirmier entre, il porte un tablier vert avec d'énormes tâches devant.  Les examens pour moi ce sera pour demain.  Léger décalage...

Je ne suis pas malade, j'ai juste eu un malaise, un tout petit malai... inutile, l'infirmier respecte les consignes, on ne sait jamais, et puis tant que je suis là, autant être prudent et vérifier !

Patience, patience.

Et mon repas ?

Oublié !

Tiens, la mouche a disparu.  Elle aura du profiter des allées et venues du personnel pour faire la belle.  Quelle chance !  Ha si j'étais une mouche !

Essayons une nouvelle fois d'aller fumer une bonne clope !

Rien à faire !  Ce tournis !  Tant pis, tantôt, à l'extinction des feux, j'en grille une dans la chambre.  De toutes manières, dans l'état où les poumons de l'autres doivent être, ça ne peut plus lui faire de mal !

Une dernière visite avant la nuit, l'infirmière vérifie que tous les appareils de l'autre fonctionnent parfaitement.  Moi j'en sais rien s'ils fonctionnent bien, mais en tous cas, je sais qu'ils sont bruyants !  Ha oui, mon repas !  Il est prêt.  C'est juste qu'on l'a laissé en bas.  Dès la tournée d'inspection termi-née, on me le remonte !  Quelle chance !

Patience, patience !

Ha enfin !  Et bien non, ce n'est pas encore mon plateau, cette fois c'est les médicaments pour la nuit, pour aider à dormir.  Et hop, une injection pour l'autre et une pilule pour moi.  Après tout, pourquoi pas ?  Si je dors, le temps passera plus vite !

L'air rafraîchit.  Seule l'odeur désagréable ne quitte pas la chambre.  Et toujours le vacarme infernal des machines de l'autre.  Mes paupières sont lourdes.  Je vais dormir.

Hein ?  Quoi ?  Qu'est‑ce qui se passe ?  Ha oui, mon repas, mon festin.  Je commençais juste à m'endormir !  Tant pis, maintenant il faut manger.  Deux tartines.  Deux minuscules tartines de pain blanc.  Tellement blanc qu'on dirait que le pain est transparent.  Une fine tranche de jambon non dégraissé.  En fait, ça doit plutôt être du gras enjambonné avec en prime une couenne bien large.  Sur l'autre tartine, on n'a rien mis, il n'y avait sans doute plus rien !  Le beurre ?  Pas de beurre dans cet hôpital monsieur !  Un peu de margarine alors ?  Demain, on tâchera d'y penser !

La porte se referme enfin.  Les tartines disparaissent dans ma bouche.  Saveur pâteuse !  L'envie d'une bonne marlboro !  L'autre dort à poings fermés; les appareils continuent leur brouhaha, tout est calme.  Allons‑y.

Atteindre la petite tablette.  Ok, tout fonctionne.  Quel plaisir !  C'est exquis !  Magnifiques !  Magnifiques sont les volutes de fumée blanche qui montent au plafond.  Enfin quelque chose d'agréable !  J'avais oublié ce que le mot bonheur signifiait !  Un véritable régal !

Merde qu'est‑ce qu'il lui prend ?  L'autre sonne.  Il me regarde fumer tranquillement et il sonne !  Pourtant j'ai pas fait de bruit, j'ai pas toussé, j'ai pas craché, j'ai juste allumé ma sèche.  J'ai compris, la fumée dérange môsieur !  Vite, je me dépêche, je tire, je tire encore, je tire davantage, avalant de plus en vite la fumée, profitant des dernières secondes qu'il me reste.

Les sermons !  Récitation: énoncé du règlement intérieur de l'hôpital.  Parfait !  Tout le monde connaît la chanson !  Confiscation du paquet jusque demain !  Non mais !  He oui, bond dans le temps, retour au jardin d'enfants: punition ‑ confiscation !  Pas sage, pas de chocolat !

Dormir !  Reste plus qu'à dormir.  Je pense que ça ira, le médicament fait son effet.  Je suis bien...

Bzzz.  Bzzzz.  Bzzzz.

Hein ?

Bzzzz. Bzzz. Bzzzz.

Merde, revoilà la mouche de tantôt.  En pleine forme de surcroît !

Pourquoi t'es revenue ?  T'étais pas bien dehors ?

Ok, je vois, t'es repassée me casser les roubignolles hein, c'est ça ?

Vas‑y continue, emmerde‑moi, je te garantis que demain matin je t'extermine, parole d'homme !

Et ça continue !

T'es pas fatiguée toi ?

...

Sommeil...

Hooo merdheu, merdheu merdheu !  L'autre maintenant !  C'est pas possible, s'il n'arrête pas de hurler, je vais devenir fou !  Tant pis, je sonne !

Allez, grouille‑toi pion !  Satanée sonnette, je parie que t'es en panne.

La lampe ?  Oui, oui, elle est passée au rouge !  Alors quoi ?  Je peux crever ici ?  Et l'autre qui n'arrête plus de hurler.  Il rêve !  C'est pas possible !

Patience, patience !

Ha quand même !  Veuillez m'excuser de déranger votre Grandeur, mais l'ancêtre d'à côté m'empêche de fermer l'oeil !

On n'y peut rien ?

Je ne dois pas y prendre attention ?

Bonne nuit ?

...

Pour une bonne nuit, ça a été une bonne nuit !  Allez, j'avoue, entre 5 et 6 heures du matin, j'ai bien dormi, ensuite, j'ai eu l'agréable surprise d'être une nouvelle fois réveillé par les cris de l'autre, puis ça a été les camions poubelles qui chargeaient dans la cours de l'hôpital.  Une excellente nuit quoi !

A 7 heures, la vieille pie est venue me tirer du sang.  Mécaniquement, elle me triturait le bras droit et remplissait les ampoules.  Festival pour vampires.  Ensuite, j'ai eu droit au réveil de sa majesté centenaire: toux et râles morbides !

Il est presque 8 heures.  Cette fois, on m'apporte à déjeuner.  Quel enchantement !  La grosse d'hier s'est métamorphosée en une jolie demoiselle qui me tend le plateau, elle sourit en plus !  Je lui rends son sourire et je me verse un grand bol de café bouillant.

Je ne peux toujours pas me lever, toujours ces nausées et ce déséquilibre !  Patience me dit la jolie infirmière en débranchant l'autre...

Je le savais, je l'aurais deviné !  Pas de sucre !  Faut attendre l'avis du médecin me répond‑on, faut attendre jusqu'à lundi !

En fait, tout bien réfléchi, pour se faire hospitaliser, il vaut mieux s'organiser un peu et combiner son malaise avec les horaires de travail des médecins, dans le cas contraire, il suffit de mettre dans sa valise, juste sous la pile de vêtements, une bonne part de patience et le tour est joué !

Le pain n'a pas changé: toujours aussi dégueulasse !  Par contre, la confiture, en petites portions, est extraordinairement délicieuse, j'en conclus donc que les hôpitaux n'ont pas le monopole de l'infecte pour toutes leurs denrées !

On rebranche l'autre.  La symphonie cacophonique des appareils merdiques recommence !

Cette fois, je n'y coupe pas, il me faut sonner l'infirmière, par chance, c'est encore la jolie qui revient: heu, désolé, mais je dois faire !  Elle m'apporte l'urinal.

Putain, que ça soulage !  L'autre m'observe !  Il m'espionne !  T'as jamais vu une queue ?

Rebelote, il s'étouffe !  Jamais je n'avais imaginé que mon membre puisse un jour produire un tel effet !

Re‑injection et c'est reparti pour un tour de monitoring, de goutte à goutte et d'aide respiratoire !

On en profitera pour faire analyser mes urines ?  Quelle chance !

La toilette.

La jeune fille de tantôt tente de tirer le rideau pour séparer les deux lits, mais la tringle est brisée, elle me demande de me retourner et commence à laver l'autre.

Oh, le vieux salopard, mais c'est qu'il bande comme un ours !  Regardez‑moi ça !  L'infirmière rougit un peu face à ce vieux pénis tout ridé et tout raidi.  Et en plus, il sourit, d'un sourire édenté et stupide !  C'est dégueulasse, je ne regarde plus !

Je n'ai pas la chance d'avoir affaire avec l'infirmière, pour gagner du temps, elle me passe le nécessaire de toilette et me laisse me débrouiller seul.

Ca ira hein ?

Faut bien !

La chaleur est déjà insupportable, ma migraine tambourine inlassablement dans ma tête.  L'autre n'arrête plus de se plaindre, tantôt il sonne, tantôt il s'étouffe, tantôt il pousse des onomatopées incompréhensibles !

Bordel, la mouche est revenue !  Mais elle a compris cette fois et elle préfère survoler les zones sinistrées et pestilentielles des abords du lit de l'autre.  Je l'ai à l'oeil, si elle s'approche, je me l'offre !

...

Piquerais bien un p'tit somme, moi.  Tout est si calme !  L'autre est mort !

Allez non, il n'est pas mort, c'était une mauvaise blague, mais il est si calme qu'on dirait qu'il l'est !  C'est comme si tout à coup, il avait perdu l'usage de la sonnette et qu'il avait oublié d'étouffer !

Miracle, on vient me chercher pour des radios.

Ecoutez, je ne suis pas malade, ni blessé, j'ai juste eu un petit malaise et ...

Vous allez contrôler, des fois que je me serais fracturé quelque chose en tombant ?

Ok, ok !  J'insiste pas !

Voyage en voiturette.

Quelques clichés inutiles et on me ramène.  J'en profite pour supplier l'infirmier de passer au fumoir, juste une, rien qu'une seule, une toute petite cigarette et on n'en parle plus !

Formidable, il accepte !

Merde, mes cigarettes ?  On ne les retrouve plus ?  Il ne vous en reste qu'une ?  Le fumoir est désert et j'attends que l'infirmier, dans un geste de bonté infinie, me tende le maigre mégot tout mouillé et écrasé qu'il a presque terminé.  Je tire une grande bouffée, mais déjà, le filtre me brûle les lèvres !  Putain d'hôpital !  On me reconduit dans la chambre.

Encore une tentative pour me lever.  Impossible de rester debout !  Tension pourtant correcte, oeil vif !  Y a autre chose ?  On va analyser ?  Ça promet !

Ne vous inquiétez pas Monsieur, un peu de patience et tout ira bien.

Je connais le slogan par coeur !

Tiens, l'autre a disparu ?  Quel calme !   Quelle sérénité !  La chambre est presque agréable, hormis la chaleur étouffante qui y règne.  Profitons‑en pour dormir un peu.

...

Ca y est, j'ai pas fermé l'oeil plus d'une heure, qu'on ramène déjà l'épave d'à côté.  Re‑injection, re‑monitoring, re‑goutte à goutte, re‑appareil respiratoire, re‑calvaire, re‑migraine.  Patience, patience...

Repas du midi.

Du poisson !  Du poisson !  Quelle horreur ! Il y a deux choses que je déteste sur terre: les hôpitaux et le poisson !  L'autre dévore son plat comme si j'allais le lui prendre !  On le rebranche et one more time c'est reparti pour l'orchestre des appareils !

Cette saloperie de mouche a encore changé d'avis et cette fois elle s'attaque à mes pieds qui ne supportaient plus les draps trop chauds.  Vite qu'on me sorte de là !  Je vais craquer !

Toutes les cinq secondes, je secoue nerveusement mes jambes pour faire s'envoler cette maudite mouche, toutes les 5 secondes elle se ravise, puis, elle se pose à nouveau.  L'autre se met à étouffer pour une fois changer.  Ca a l'air plus grave quand même car l'infirmier de garde appelle l'équipe de secours, c'est le branle‑bas de combat.  On le débranche, et voilà qu'il se met à vomir partout, une jeune stagiaire arrive en courant et lui tapote le dos.

Fausse alerte, il ne crève pas encore cette fois‑ci !  Et once again, on le rebranche.  Ca y est, j'ai trouvé, je vais l'appeler ON‑OFF, vous savez, comme les interrupteurs, ON: branché, OFF: débranché.  ON‑OFF, y a pas mieux comme nom !

Cette putain de mouche n'en démord pas !  Cette fois, j'attrape mon oreiller et j'attends qu'elle se pose.

Pour mettre l'ambiance, ON‑OFF recommence à râler longuement.  La mouche fait un tour, un second, elle s'arrête au plafond, je la vois qui me regarde bêtement, elle décolle, elle atterrit.  Avec rage et force, je lui écrase le coussin sur le coin de la tronche !

Je l'ai eue !  Je l'ai eue !  La sale emmerdeuse !

L'autre continue cependant à m'empoisonner l'existence et toujours cette migraine qui me relance de plus en plus fort !

Après‑midi très calme: trois étouffements, deux coups de sonnette pour rien grand chose, le soleil qui chauffe toujours les vitres et qui me grille les poumons.  Je peux dire adieu à mon paquet de cigarettes, l'infirmière qui me l'avait confisqué durant la nuit, est partie en congés sans signaler à ses collègues où elle l'a mis.  Patience Monsieur, d'ici un ou deux jours, vous sortirez...

Patience, patience...

Re‑somnifère pour la nuit.  Suis crevé, exténué, vidé, à bout de nerfs !

Soudain, le déclic !  Mais oui, bien sûr, dans la poche de mon veston, un paquet tout neuf avec le magnifique emballage glacé transparent encore intact !  20 marlboros sublimes, 20 superbes bonnes marlboros !

Me relever un maximum, tendre le bras, ouvrir délicatement la colonne de l'armoire murale.  Faire gaffe de ne pas réveiller ON‑OFF.  Je parie qu'il est sourd mais si j'ai le malheur de faire un pet, il l'entendra, j'en mets ma main au feu !

Allez donc, j'ouvre l'armoire tout doucement.  J'attrape mon veston, je tire un coup sec, et, hop, je le récupère !  Bingo !  Mes doigts tremblants, comme en manque, touchent le paquet prodige.  Ho bonheur ineffable, bonheur extrême !  Je tire la languette rouge de contrôle et j'ouvre le paquet.  Ah l'odeur !  Merveilleuse odeur enivrante !  Je sors mon briquet et hop, j'allume la clope.  Que cela fait du bien !  Que la vie est belle !  Il y avait si longtemps que je ne m'étais plu senti aussi bien !  Un coup d'oeil prudent à ON‑OFF m'indique qu'il roupille du sommeil du juste.

Je ne me gène pas, je jette les cendres sous le lit.  Hôpital de merde, chambre de merde, je fous la merde !  Et pourquoi pas après tout ?

Je m'en paie une autre.  Celle‑ci est encore meilleure !

Finalement, tout s'arrange, la mouche crevée, ON‑OFF qui dort et une bonne marlboro.  La vie est belle !

Et un troisième clou de cercueil, un !  Superbe senteur !  Quel goût !  Le Nirvana, un pétard bien roulé !

Et merdeheuheuheuheuheuheu !!!!!

ON‑OFF déraille à nouveau.  Vite, planquer le paquet sous le matelas et éteindre ma cigarette sur le rebord du lit.  Mais, le vicieux personnage, il n'étouffe pas, il m'observe, il m'espionne, il me dénonce !  Vieux con délabré !

Et c'est reparti pour les sermons.  Re‑étalage du règlement de l'hôpital, menaces virulentes, remarques désobligeantes...

ON‑OFF ricane derrière son masque respiratoire qui lui cache la bouche.  Tu ne perds rien pour attendre microbe, tantôt, ce sera ta fête !  L'infirmier de garde repart en sourdine, il a même eu la bonne idée de fouiller mes poches, heureusement, la cachette sous le matelas reste inviolée !

Patience, patience.  ON‑OFF s'est subitement endormi...

...

Il se réveille !

Nom de Dieu !  ON‑OFF tend son index déformé par l'arthrite, vers le matelas.  D'emblée, je comprends ce qu'il me veut.  Il sait où je cache mes cigarettes et il va sonner !  Sale bête, tu ne sonneras pas !  Je me lève.  Le monde bascule devant mes yeux, mais je m'en fous.  J'arrache le masque qui l'approvisionne en air frais, je serre le goutte à goutte qui le maintient en vie, sa bouche se tord et reste ouverte sur un cri muet.  Je le vois périr petit à petit, inexorablement.  Larve il était, larve il meurt.  Je lui pince les narines, obstruant les deux orifices poilus qui lui permettaient encore de respirer par saccades.  Le monitoring change de tempo, les chiffres du cadran s'affolent et décroissent à un rythme fou, le bleu délavé de ses yeux glauques vire au blanc, la courbe irrégulière du graphique se raidit définitivement, platonique...

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pseudo : volatile

Oui, tout le monde le sait: fumer tue!!!