Prosper était un mignon ver de terre. Sa maman avait pondu une dizaine de petits œufs dans un cocon blotti sur un tas de détritus végétaux. Il fut le seul à sortir du cocon et ses parents cherchèrent comment ils allaient le prénommer. Vous savez chez les annélides chétopodes les problèmes sont les mêmes que pour les hommes. Papa aurait voulu comme prénom « Lombric » ou même mieux « Lumbricus » (au moins cela faisait ancien). Mais maman n'était pas d'accord elle trouvait ces prénoms trop austères. Ce que femme veut, dieu veut (même chez les vers de terre) et notre mignon ver de terre fut prénommé Prosper. Vous allez me dire, il aurait été plus adéquat de choisir comme prénom « Croqueterre » (ou même « Croqtaire ») mais l'humour n'est pas la qualité principale des chétopodes.
Prosper a une charmante petite sœur prénommée Terralène. C’est la plus mignonne fillette ver de terre que l’on peut rencontrer dans le jardin. Prosper aime bien sa petite sœur. Ils passent leurs journées à jouer à cache-cache derrière les mottes. Il faut voir comme Terralène rit quand enroulée autour de son grand frère celui-ci fonce à travers le limon. Ils font attention de ne pas s’approcher trop près de leur grand-mère qui sommeille dans un coin du jardin. Il faut dire qu’en raison de son grand âge elle est devenue un peu acariâtre. Elle est veuve, le grand-père de Prosper ayant succombé sous la patte d’une poule qui grattait la terre du jardin (la vie des lombrics n’est pas toujours un long fleuve tranquille…). Malgré son jeune âge Prosper n’est pas insensible au charme d’une demoiselle ver de terre. La donzelle a tout pour plaire à un jeune lombric. Un corps fin et allongé, d’un rose superbe, un port de reine. Il faut voir avec quelle élégance elle s’enfonce dans les mottes de terre. Il faut voir aussi les mimiques de Prosper quand il rencontre Mélusine (c’est le prénom de la demoiselle), il gonfle ses muscles (pardon ses anneaux) et se tortille autour d’elle l’air de rien.
Quand il ne joue pas avec sa petite sœur Prosper passe ses journées à ingurgiter de la bonne terre bien meuble qu'il régurgite méticuleusement après en avoir absorbé toutes les bonnes choses. Un jour sortant du sol il rencontra un escargot. Étant dépourvu d'yeux (d'ailleurs, pourquoi faire dans un monde souterrain ?), il lui demanda de décrire le monde d'en haut. Il apprit avec stupéfaction que l'escargot ne mangeait pas de terre mais de ces choses vertes dont Prosper avait vu les racines. L’animal avait une paire d'yeux, se déplaçait sur le sol et sur les murs en laissant de longues traînées baveuses et pouvait dormir dans une coquille qu'il portait sur le dos. Prosper fut encore plus sidéré quand il apprit l’existence d'autres animaux courant plus vite que le vent à l'aide de membres appelés des pattes.
Son étonnement fut à son comble quand l'escargot lui expliqua que certains animaux appelés des oiseaux étaient même capables de voler. Lui toujours si heureux dans sa terre humide se sentit tout à coup comme cloué au sol. Il n'eut plus qu'un rêve : avoir des pattes pour courir à travers les mottes au lieu de les traverser péniblement, des ailes pour s'envoler haut, très haut..
Le bonheur est vraiment une chose compliquée. Jusqu'à ce jour, Prosper avait été un petit ver de terre à l’aise dans sa vie souterraine. Maintenant il avait découvert toutes ces merveilles au-dessus de lui et il commença à dépérir. Lui, tellement goulu autrefois, à tel point que ses parents l’avaient surnommé « Prosper le morfal » ne voulait plus ingurgiter sa ration de terre quotidienne. Elle lui semblait maintenant toute fade. Maman lombric était désespérée et ne cessait de répéter à longueur de journée : « Prosper mange ta terre, allez encore une bouchée pour me faire plaisir… ». Papa lombric se fâchait, mais il avait beau faire les gros yeux (c’est une image bien sûr !) rien n’y faisait Prosper s’obstinait à bouder toute nourriture. Terralène essayait de l’aider discrètement en en finissant sa terre mais personne n’était dupe. Pourtant, ses parents l’amenaient dans des sols les plus variés. Ils lui proposaient des humus odorants, des glaises délectables, des limons fertiles, des marnes de couleurs variées, des boues appétissantes et même des terreaux de qualité supérieure. L’appétit ne revenait pas pour autant. Aussi Prosper qui était un joli petit ver de terre rose et dodu commença à dépérir. Ses anneaux qui étaient bien tendus et vigoureux commencèrent à devenir flasques. Il prit peu à peu une teinte grisâtre. Il passait, ses journées, lové dans une motte de terre.
Sa maman qui était « une » lombric énergique dit un jour à son mari : « secoue-toi Fouilleterre ! » (c’était le prénom de papa lombric) – « tu vas pas laisser notre fils mourir de faim il faut absolument faire quelque chose ! »- « je veux bien Limonette ! » (c’était le prénom de maman lombric)- « mais que faire ? ». « Tu te débrouilles, je t’ai épousé parce que tu m’avais dit que tu étais le plus beau, le plus fort et le plus intelligent des vers de terre de la contrée. Prouve-le maintenant ! » Fouilleterre ne sut que répondre. Il s’isola sous une racine d’ortie et fit cogiter cette petite masse spongieuse qui sert de cerveau aux vers de terre. Il avait beau tourner et retourner le problème sous toutes ses faces il ne voyait aucune solution. Elle est bien marrante Limonette si j’avais pu faire quelque chose pour Prosper il y a longtemps que je l’aurais fait ! Toutes ses réflexions avaient élevé sa température et l’avaient desséché (c’est grave, n’oubliez pas comme l’humidité est importante pour les lombrics). Une idée pourtant lui vint… Mais oui, si Prosper s’étiole ainsi c’est parce que son ami escargot lui a décrit les choses qui existent en surface. Maintenant il en rêve. Allons voir Hélix (c’était le prénom de l’escargot) il aura peut-être une solution !
Hélix fut vraiment désolé quand il apprit l’état dans lequel était plongé Prosper. Il dit à Fouilleterre : « je ne vois qu’une solution, puisque Prosper rêve d’explorer la surface exauçons son rêve ! »
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Oui, mais comment ?
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->C’est simple qu’il vienne me voir, je lui prêterai mes yeux et ma coquille et ainsi il pourra explorer le jardin !
Ainsi fut dit ainsi fut fait.
Prosper enfila les deux yeux d’Hélix, mit sur son dos la magnifique coquille, tandis que l’escargot nu comme un ver (ici ce n’est pas une image, mais bien une réalité) alla se cacher, en attendant, sous une pierre.
Prosper mit plusieurs minutes avant de réagir. Dès qu’il eut ajusté les yeux d’Hélix une vague de lumière le submergea. Enfin, son cerveau s’adapta au nouveau sens qu’il venait d’acquérir : il voyait… Il déplia un œil vers la droite prudemment. Il vit quelque chose de vert, une longue tige sur laquelle étaient accrochées des excroissances plates et pointues. En remontant son œil, il aperçut des boules rouges. Quelle vision admirable !
Il apprit plus tard en interrogeant Hélix que cette chose magnifique était un plant de tomates. L’escargot lui expliqua ensuite que cette plante était un régal pour les gastéropodes. Prosper déplia son deuxième œil et se mit en devoir d’explorer son nouvel univers. Il allait d’émerveillement en émerveillement et découvrait l’existence des couleurs et des formes. Certes il avait déjà une notion des formes, mais dans son monde souterrain l’appréhension des formes était uniquement tactile donc forcément limitée. Avec ses yeux il faisait connaissance avec l’intégralité. Et que dire des couleurs … ! Dans le noir qui constituait son quotidien (pouvait-on d’ailleurs parler de noir ?) il ne pouvait même pas imaginer qu’elles puissent exister…Il découvrit l’orange des citrouilles, le rouge des fraises, le violet des aubergines, le marron des troncs d’arbre, le vert des épinards, le jaune des papillons et mille autres couleurs que les mots ne suffisent pas à décrire. Quand il était fatigué de ses découvertes, il allait se reposer dans la coquille si aimablement prêtée par Hélix. Le soir il rendit à son ami escargot son attirail et alla sagement se coucher avec ses parents sous une épaisse couche de terre. Inutile de dire que Fouilleterre et Limonette étaient ravis de voir leur fils reprendre goût à la vie. Au dîner, il se remplit la panse d’une plâtrée de boue à s’en faire péter la bedaine. Il revit dans ses rêves toutes les choses merveilleuses qu’il avait vues dans la journée. La vie reprit son cours, de temps à autre Hélix lui prêtait ses yeux et il allait compléter l’exploration du jardin. Tout aurait pu aller pour le mieux dans le meilleur des mondes (des vers de terre) mais il arriva un moment où Prosper fut repris de langueur. Sa mère, qui comme toutes les mères, était attentive aux humeurs de son rejeton s’en aperçut.
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Qu’as-tu Prosper ? Tu rechignes encore à manger ta terre !
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Je n’ai rien maman !
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Allons ! On ne peut rien cacher à une maman je sais que cela ne tourne pas rond. Parle !
<!--[if !supportLists]-->- <!--[endif]-->Tu vois maman même Hélix ne sait pas ce qu’il y a derrière la barrière. Il est à peine arrivé à mi-chemin en rampant avec difficulté qu’il lui faut penser à rentrer. Moi c’est pareil. Non il n’y a pas de doute si j’avais des pattes je pourrai aller plus loin et plus vite !
Limonette fut atterrée. Elle eut beau raisonner Prosper il persista dans son rêve insensé et tomba dans une profonde déprime. Devant son état qui empirait chaque jour, elle somma, encore une fois, son mari d’agir ! Fouilleterre se gratta la tête (c’est une image bien sûr) et encore une fois activa la masse spongieuse de son cerveau. Il faut dire que notre lombric était loin d’être un imbécile. Aurait-il eu la chance de naître dans le monde des hommes il aurait sans aucun doute fait de brillantes études. Mais voilà le hasard avait voulu qu’il soit un ver de terre bien gros et bien rose plaisant à gente féminine du monde souterrain et il se contentait, sans état d’âme, de cet état. Par un raisonnement parfaitement logique, il arriva à la conclusion que pour se déplacer plus loin et plus vite à la surface de la terre il fallait des pattes ! Quel animal pourrait prêter ses pattes à Prosper ? Il connaissait bien Malvina un jolie petite coccinelle, mais les pattes seraient trop petites pour propulser un lombric. Il y avait Lapinou un lièvre qui fréquentait le jardin, mais cette fois-ci ses pattes seraient disproportionnées pour le corps de Prosper. Nina, mais oui Nina ! Nina était une mignonne petite musaraigne que Fouilleterre avait rencontrée plusieurs fois, voila la solution !
Le papa ver aborde donc Nina aimablement, lui fait compliment de sa grâce qu’il admire. Doucement il introduit dans la conversation ce qui l’amène. Nina, un instant, est interloquée. Prêter ses 4 pattes ce n’est pas banal, cela demande réflexion. Mais Fouilleterre est tellement persuasif. Dans le fond ce n’est qu’un prêt, une heure au plus et Nina retrouvera ses pattes. Elle se laisse convaincre… Dès le lendemain Prosper de bon matin muni des yeux d’Hélix, le cœur battant enfila les pattes de Nina. Le moins qu’on puisse dire c’est que ce ne fut pas facile. Endosser des pattes est une chose, savoir sans servir en est une autre. Autant Prosper était un expert dans la reptation autant il était pataud dans la marche. La musaraigne dut lui donner plusieurs leçons avant qu’il sache coordonner chacune de ses pattes et se déplacer sur le sol. Mais bon chien (c’est encore une image) chasse de race, Prosper était aussi doué que son père et bientôt il sut se servir de ses quatre membres comme s’il était né avec.
Alors, ce fut le ravissement complet. En un instant il gagna le mur qui bordait le jardin, aussi doué qu’une musaraigne il grimpa au sommet et grâce aux yeux de l’escargot il put enfin voir ce qu’il avait derrière le mur. Dire qu’il était médusé est insuffisant. À ses yeux éblouis s’offraient mille choses nouvelles. Des mottes de terre qui s’élevaient jusqu’au ciel. Nina lui expliqua plus tard que cela s’appelait des montagnes. Des arbres à perte de vue, de gros blocs de pierre percés de trous (des maisons avait dit la musaraigne), des bandes où circulaient des objets métalliques bizarres sans pattes. Prosper tout intimidé n’osa pas s’aventure trop loin du mur. Inutile de vous dire que cette nuit-là, il fit des rêves merveilleux. Les jours suivants Nina lui ayant encore prêté ses pattes (les musaraignes ont vraiment bon cœur !) Il explora la campagne avoisinante. Mais les vers ne sont pas différents des hommes il se lassa vite de ses promenades. D'ailleurs, il avait vu dans le ciel des oiseaux montant très haut, s’élançant vers l’horizon, planant au gré des vents. Le poison de la jalousie commença à gagner son cœur. Des yeux, des pattes c’est bien, mais des ailes c’est autrement mieux. Il retomba donc dans une profonde apathie et ses parents virent leurs tourments recommencer. Élever un fils n’est vraiment pas une tâche facile, on croit faire le maximum et on constate que c’est insuffisant. Fouilleterre sentant que Limonette devenait de plus en plus nerveuse prit, cette fois-ci, les devants. Il veut une paire d’ailes ce fils indigne, je vais lui en trouver, mais cela sera la dernière fois. Pas question de demander à un oiseau, ils volent trop haut et d’ailleurs tous les lombrics savent qu’il n’est pas prudent d’être trop près du bec d’un volatile. Quel animal choisir ? Chloé la coccinelle a bien une paire d’ailes ravissantes, mais elles seront trop petites pour faire décoller Prosper. Il y bien Gonzague le hanneton ! Non il est trop ronchon il n’acceptera jamais de prêter ses ailes… Gaspard ! Oui je vais demander à Gaspard ! Gaspard était un magnifique papillon à choux, d’un jaune lumineux. Fouilleterre et lui se connaissaient de longue date. Il avait joué ensemble sous terre alors que Gaspard n’était encore qu’une chenille. Depuis leur amitié n’avait pas cessé, même quand le papillon avait quitté son cocon pour s’élancer vers le ciel.
Comme papa Lombric l’avait prévu, Gaspard ne fit aucune difficulté pour prêter ses ailes. C’est ainsi que par une belle journée de juillet Prosper équipé de la paire d’yeux de l’escargot et muni de la magnifique paire d’ailes du papillon s’élança à la conquête de l’espace. Nina lui avait bien proposé de lui prêter encore une fois ses pattes. Mais il avait refusé d’ailleurs un peu cavalièrement estimant que des pattes ne seraient pas nécessaires pour parcourir les cieux (la jeunesse n’est pas toujours polie…il aurait pu avoir une certaine reconnaissance). Gaspard lui avait fait quelques cours sur la théorie du vol aérien et après plusieurs chutes, ma foi, assez douloureuses Prosper avait acquis une relative maîtrise du maniement d’une paire d’ailes. Très rapidement il se trouva à haute altitude. Son exaltation fut au maximum. Libre, il était libre lui qui si longtemps avait été cloué au sol, contraint de ramper péniblement, de frayer sans cesse son chemin à travers la terre dans une obscurité totale. Là, dans l’azur c’était l’ivresse totale, il plongeait vers le sol puis remontait brusquement, il planait au gré des vents. Il riait en pensant à ses frères les vers de terre qui étaient tout en bas dans leurs mottes de terre. Qu’ils étaient ridicules ! Brusquement il ressentit un choc violent. Un merle venait de le saisir dans son bec. Fini l’extase il retomba dans la réalité la plus cruelle. Il savait que sa fin était proche. Sa maman Limonette lui avait expliqué ce qui pouvait arriver aux lombrics qui sont la proie d’un oiseau. Au mieux ils finissent immédiatement dans l’estomac du volatile au pire ils servent de nourriture à la progéniture de l’oiseau. Il était encore vivant, blessé, il souffrait le martyre. Pas de doute son ravisseur le transportait vers son nid où des petits devaient déjà ouvrir goulûment leurs becs en quête de nourriture. Adieu maman Limonette, adieu papa Fouilleterre je suis bien puni maintenant. J’étais si bien avec vous dans l’humus du jardin… Mais à quoi servent des regrets quand la fin est proche …
Il faut croire qu’il existe un dieu même pour les vers de terre, alors que le merle arrivait près de son nid un faucon qui volait très haut dans le ciel piqua sur l’oiseau noir et l’emprisonna dans ses serres. De frayeur le merle lâcha Prosper qui tomba en tourbillonnant vers le sol. Bien que blessé, il se traîna péniblement vers son cher jardin. Il y arriva le soir la nuit était déjà tombée. Inutile de vous dire que ses parents lui firent la fête, la disparition toute une journée de Prosper les ayant plongés dans une profonde inquiétude. Il n’eut même pas droit à une fessée pourtant bien méritée (peut-on parler de fessée chez les lombrics ceux-ci n’ayant ni fesses ni mains ?). Gaspard récupéra ses ailes bien abîmées, mais la nature est bien faite les ailes se régénèrent vite chez les papillons. Hélix retrouva ses yeux heureusement intacts et reprit ses promenades baveuses dans le jardin. Et Prosper ?
Et bien Prosper toute cette aventure l’avait bien assagi. Il reprit la vie des annélides chétopodes. Et finalement, il est bien content d’avoir retrouvé Mélusine… Jamais plus il ne chercha à explorer le monde d’en haut.
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Style : autre | Par winther jean | Voir tous ses textes | Visite : 1576
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