INTRODUCTION
Des feux bleus provenant d'en bas - probablement ceux des secours - se reflétèrent au plafond où le lampadaire se balançait encore, son abat-jour de travers.
Affolé, l'homme jeta encore un coup d'œil à Ange qui gisait inanimée sur le lit défait, elle n'avait pas bougé, il se releva en s'aidant des coudes sur le bord du lit et alla à la fenêtre pour écarter les persiennes horizontales. Un véhicule, surmonté d'une rampe de feux tournoyants, s'était immobilisé de guingois un étage plus bas, tandis que, d'un autre fourgon, juste derrière, étaient descendus des hommes qui paraissaient escorter le convoi.
Les secours étaient là.
C'était un miracle.
Terry ne les avait pas appelés.
Pas encore.
Il n'en avait pas eu le temps ni le cran, trop épouvanté par son impuissance face aux événements...
Quand, une quinzaine de minutes plus tôt, vers 06h00 ce matin-là, le réveil avait sonné, continué à sonner et sonner encore, au bout d'un moment plus ou moins long, Terry avait compris que quelque d'anormal se passait.
D'un bond, il s'était alors assis sur le matelas, avait allumé la lampe de chevet, la renversant dans la précipitation, et, en écarquillant les yeux, avait distingué Ange qui semblait dormir à ses côtés. Il l'avait délicatement secouée en la saisissant par une épaule dénudée, il avait murmuré à son oreille, puis comme elle ne répondait toujours pas, il s'était mis à paniquer.
- «Ange? Ange réveille-toi, il est l'heure!» avait-il presque hurlé en la bousculant plus sérieusement. La jeune femme, que le drap recouvrait à peine, n'avait pas répondu ni sourcillé. Il lui avait alors tapoté les joues, soulevé une paupière, en vain. Il avait écouté sa respiration, posé l'oreille sur sa poitrine pour écouter son codeur battre et tâté son pouls... Sans résultat.
Ange gisait là, inanimée, sans réaction. Elle était morte s'était-il dit mentalement en essayant encore de la soulever du lit. Mais le corps inerte de la jeune femme lui résista, trop lourd, trop engourdi sans doute, et il était tombé en arrière en se cognant la tête à l'abat-jour du lampadaire.
Terry s'était retrouvé par terre, sur le lino, terrassé par une peur innommable et il s'était mis à hurler à plein poumon.
-«Au secours! Aidez-moi! Au secours!»
Les yeux fermés, le visage serein arborant une espèce de sourire innocent, Ange paraissait dormir si profondément qu'elle semblait déconnectée de la réalité.
Au rez-de-chaussée, la porte d'entrée vola en éclats, des pas, de nombreux pas lourds, rapides et rythmés avaient résonné dans le hall, les escaliers et puis des hommes en blanc avaient surgi dans leur chambre.
Le monde ensuite avait chaviré.
Deux types avaient aidé Terry à se remettre debout tandis qu'un troisième lui avait fait une intraveineuse, l'homme avait juste eu le temps de pointer du doigt sa compagne étendue sans connaissance sur le lit qu'il s'était aussitôt senti si faible et si fatigué qu'il s'était écroulé lourdement, comme paralysé.
Dans son trouble délire, Terry eu encore le temps de voir que plusieurs hommes s'affairaient autour d'Ange, ils avaient décompté: -«trois, deux, un!» et l'avait soulevée pour ensuite l'emporter sur une civière. Ensuite il s'était évanouit...
Chapitre UN
Trois ans plus tôt.
À trente-sept ans, Terry Grant se sentait bien seul.
S'il avait plus ou moins bien réussi dans la vie, dans le sens où il avait trouvé emploi, acheté maison et pouvait se permettre de partir en vacances chaque été - il n'avait encore jamais rencontré l'amour, avec un grand A et cette lacune lui pesait comme un véritable échec.
C'était sur la UNE qu'il avait vu la publicité pour la toute première fois, tandis que distraitement il suivait une émission de téléréalité: «MYFP - Meet Your Future Partner» - scandaient les chœurs sur une musique accrocheuse tandis que tournoyaient sur l'écran les 4 initiales formant l'acronyme. Les témoins - ou étaient-ce plutôt des acteurs - prétendaient tous et toutes avoir trouvé l'âme sœur, ils paraissaient tous si sincères, si amoureux, si ...
Terry avait pris note du numéro vert et du site de MYFP et sans terminer son repas réchauffé au microondes, il était monté dans la petite pièce à l'étage qui lui servait de bureau et il avait pianoté l'adresse en question sur le clavier de son ordinateur.
«BIENVENUE SUR LE SITE DE RENCONTRES DE LA 1 [lisez UNE pour 1]» disait le premier spam d'accueil, Terry avait cliqué les fenêtres - c'était par dizaines qu'elles avaient envahi l'écran - qui ne l'intéressaient pas et finalement il avait participé à son inscription en ligne sur le site de MYFP.
À son grand étonnement et sans qu'il ne se rende compte, l'opération lui avait demandé près d'une heure. 1.082 questions, précisément - quasi toutes annotées d'un astérisque qui renvoyait à une note de bas de page indiquant le caractère indispensable des réponses à ce sujet - lui avaient été posées. 1.082 réponses il avait donné sans se soucier de quoique ce soit, ne répondant que la stricte vérité quant à sa personne, ses préoccupations, ses hobbies et ses aspirations en matière de partenaire éventuelle.
Ce soir-là, il ne changea pas de chaîne, lui qui d'ordinaire se refusait de suivre la Une car totalement anti publicité et téléréalités, il avait regardé tranquillement «JACKPOT» et avait fini par s'endormir tandis que le candidat - un anonyme de la rue tiré au sort la veille - remportait la coquette somme de 5.000.000 dollars.
Et même si son inscription et principalement les éventuelles perspectives qui pouvaient en découler n'avaient pas quitté son esprit les jours qui avaient suivi, Terry était à cent mille lieue d'y penser lorsque son portable se mit à sonner tandis qu'il était assis, vaporeux, dans el train qui le ramenait à domicile.
Numéro inconnu disait l'écran de son NOKIA.
- «Allo?»
-« Monsieur Grant? Terry Grant? »
- «Lui-même, à qui ais-je l'honneur?»
- «Sofia Topulos, de l'agence MYFP, Monsieur Grant. Je ne vous dérange pas? Pouvez-vous m'accorder quelques instants, j'ai quelques nouvelles positives à vous communiquer si vous êtes toujours intéressé. »
- «Non pas du tout, vous ne me dérangez absolument pas, je vous écoute mademoiselle.» Terry avait senti son cœur battre la chamade comme lorsqu'il avait 14 ans et qu'en cachette il avait visionné son premier film pornographique.»
- «Suite à votre inscription chez MYFP, nous avons reçu quelques réponses émanent de candidates potentielles qui entrent dans vos critères de sélection, nous les avons toutes analysées, comparées et estimées, et de cet examen, un profil devrait correspondre à vos attentes, êtes-vous, Monsieur Grant, disposé à poursuivre au-delà de votre inscription et à souscrire auprès de notre agence? »
Le ton de la téléphoniste s'était emballé, le rythme de sa voix était devenu comparable celui d'un débit usuel employé par les commerciaux qui tentent de vous vendre tout et n'importe quoi par correspondance
Méfiant, il avait hésité et puis, au risque de se faire remarquer auprès des navetteurs qui faisaient semblant de ne pas écouter la conversation, il lâcha: ‑ «et ça va me coûter combien tout ça?»
‑ «ce service est entièrement gratuit Monsieur Grant, seule vous sera réclamée la garantie de dépôt que vous avez d'ores et déjà versée, et si notre sélection vous convient, il vous sera juste demandé de vous présenter en nos bureaux afin de clôturer les contrats et autres décharges pour y apposer votre signature, le tout dans el plus grand respect de l'anonymat, de la légitimité et strictement d'un point de vue légal»
GRATUIT? songea-t-il fortement surpris. Bien que cela puait l'arnaque à plein nez, Terry accepta l'offre de la secrétaire et dès le lendemain il se rendit au siège de la "MYFP", au sein même de la 1.
Comme convenu, Terry s'était présenté au Grand Centre de la 1. La double porte vitrée passée, au guichet circulaire central une jeune hôtesse le renseigna quant à la salle d'attente et c'est avec plus d'une demi heure d'avance qu'il s'y engagea.
Il n'avait pas pris la peine de changer quoi que ce soit à son look habituel ‑ pas la peine de ne pas ressembler à la photo qu'il avait dû downloader lors de son inscription ‑, sauf que pour l'occasion il s'était rasé de près et avait revêtu une chemise neuve et bien repassée. L'immeuble de la 1 était un gigantesque complexe étendu sur 6 étages et sur plus de 4km2 où travaillaient près de 4.000 personnes et retrouver la salle A3L12 n'avait pas été une mince affaire.
«Un véritable labyrinthe piégé de méandres tortueux» avait-il qualifié mentalement l'endroit en tâchant de se répéter les dires de l'hôtesse et en vérifiant les pictogrammes accrochés aux murs, tous plus difficiles les uns que les autres à interpréter.
Partout, des caméras de surveillance semblaient filmer le moindre de ses faits et gestes.
- «Pardon, pourriez-vous m'aider, je crains de m'être perdu?» lança-t-il à la silhouette qui tournait précipitamment l'angle du couloir juste devant lui.
- «Vous également?» avait répondu une voix suave, parfaite, presque synthétique. Et elle s'était retournée face à lui.
Fallait-il parler de coup de foudre? En tout cas, nul n'aurait pu dire le contraire, et certes pas ceux qui visionnèrent les enregistrements de surveillance sur lesquels on pouvait voir cet homme et cette divine créature, face à face, littéralement mutuellement hypnotisés.
- «J'ai l'impression de vous connaître» lança Terry d'un ton sincère. Bien que certain de n'avoir jamais rencontré cette femme, il fut d'emblée persuadé de l'avoir déjà vue, comme une espèce de prémonition, comme parfois on vit une situation toute neuve et que pourtant on a la nette impression d'avoir déjà vécu.
- «Et moi je pense que je vous connais» répondit-elle spontanément en arborant un sourire merveilleux qui s'ouvrait béant sur une dentition parfaite d'une blancheur exceptionnelle presque artificielle; ‑ «vous devez être Monsieur Grant, Terry Grant».
Cette déesse-là connaissait son nom. Elle le connaissait! C'était incroyable!
- «Vous ... vous me connaissez?» Terry cherchait ses mots, il bafouillait et, pour la toute première fois de sa vie, il perdait ses moyens face à une femme.
- «Je crois même que l'on nous a prié de venir afin que nous nous rencontrions» lança-t-elle d'un ton amusé.
- «Ils sont là nos deux tourtereaux, et ils n'ont pas attendu qu'on les présente» tonitrua la voix du gros homme qui avait surgi de nulle part et qui se dirigeait vers eux les bras ouverts en croix, laissant ressortir davantage encore sa bedaine immense qu'une cravate de luxe dissimulait difficilement. - «Georges Pinson, Appelez-moi Georges, pour vous servir et vous offrir le bonheur à tous les deux». D'un côté il avait saisi la jeune femme et de l'autre il avait enveloppé Terry, à l'image d'un vieil ami protecteur qui vous emmène visiter son nouvel appartement.
- «Terry, je vous présente Ange; Ange, je vous présente Terry. Mais vous, vous le connaissez déjà, puisque chez MYFP les filles ont le droit de télécharger les photos des garçons avant de les rencontrer IRL».
Par-dessous l'aisselle du gros type, Terry jeta un œil interrogateur à Ange, un seul regard lui suffit pour se faire comprendre: IRL? semblait-il dire et d'un mouvement bref et silencieux des lèvres elles lui répondit: In real Life, pour de vrai.
- «Cela ne prendra que quelques minutes les amis, quelques feuillets et contrats à signer et ensuite je vous libère» Pinson les avait invités à s'assoir côte à côte, face à lui. Vu sous cet angle, Pinson semblait bien différent, son imposant ventre avait disparu sous le teck et les piles de papiers et dossiers et c'est à peine si on pouvait distinguer son gros visage joufflu et sournois.
Ils étaient là tous les deux, mal à l'aise, gênés et ennuyés par la situation grotesque provoquée par cet entremetteur. Tous les deux observaient le gars en face, mais ni l'un ni l'autre ne le voyait. En pensées, ils s'admiraient et se délectaient de l'image de l'autre.
- «Voilà, signez ici; encore ici; là; derrière et la dernière page, pour les autres feuilles, un paraphe suffira» enchaîna Pinson en tendant deux dossiers qu'il avait sorti de nulle part comme par magie.
- «De quoi s'agit-il au juste?» s'enquit cependant Terry, revenant quelques secondes les pieds sur terre.
- «D'une autorisation. Plus précisément, en signant cet acte, vous autorisez MYFP et par la même occasion la UNE, d'exploiter votre image. Je vous explique encore plus simplement, en supposant que vous et cette charmante personne - il désigna la jeune femme d'un regard sadique et pervers - décidiez, après avoir fait plus amples connaissances, de filer le parfait bonheur, nous vous demandons votre autorisation d'utiliser votre image commune ou indépendante pour témoigner et refléter le bonheur qui serait en vous. Ceci ne vous engage à aucun frais et d'un autre côté de cette manière, à votre tour, vous faites notre publicité.».
Tandis qu'il s'était retourné vers elle, Terry vit Ange lui adresser un haussement d'épaules qui signifiait "après tout on s'en moque".
Tous deux signèrent les documents que leur avait donnés Pinson.
A peine une heure trente après son entrée dans le grand hall d'accueil de la 1, en en ressortant avec Ange Watts, Terry Grant eut un goût amer dans la bouche, il n'aurait pas pu dire ce que c'était plus précisément mais tout avait été si vite, cette fille était si belle, si ...‑ elle représentait tout ce dont il avait toujours rêvé mais n'avait certes jamais osé espérer ‑, et maintenant voilà que tout allait si vite, c'était là une bien désagréable sensation que celle-là, ressortir de la MYFP avec peut-être la femme de sa vie, comme on ressort du supermarché avec un tonnelet de poudre à lessiver ou un appareil électroménager.
- «Tu es si parfaite ...», elle l'avait obligé à la tutoyer et le regardait d'un air si passionné qu'il en était mal à l'aise. Il se tortillait les doigts et jouait nerveusement avec l'anneau qu'il portait en guise d'alliance. - «Un cadeau, un souvenir, une plaie qui ne se referme pas?» demanda-t-elle d'un ton amusé qui n'avait rien à voir avec la gravité de la question. Elle avait relevé son sourcil droit en gonflant sa joie et en clignant de l'œil, l'air de dire, "vas-y mon gaillard, explique-moi ça". - «Ha ... ça?» répondit-il dans un premier temps, embarrassé, puis rassuré, il enchaîna, - «C'est une espèce de bouclier pour me protéger des ... prédatrices; généralement, les femmes qui cherchent amants les préfèrent célibataires, évitant les hommes mariés et surtout les éventuels problèmes des épouses trompé» Terry avait bien retenu sa leçon sur son stratagème, à peine eut-il terminé sa phrase qu'il ôta la bague de son annulaire. - «Tu me l'offre?» demanda-t-elle en arborant un regard si séduisant qu'il aurait été impossible de lui refuse quoi que ce soit. - «Seulement si tu promets que nous nous reverrons!» répliqua Terry en lui prenant la main droite et en y glissant le bijou. - «Attends!», Ange lui rendit aussitôt l'anneau, sembla réfléchir un instant, puis comme si soudain une lumière avait jailli de son esprit ou comme si on lui avait soufflé l'idée, elle saisit l'homme par les poignets et l'emmena littéralement à l'extérieur de l'établissement. En face, s'étendait l'imposant immeuble de la Une, avec le gros chiffre 1 en hologramme qui tournoyait dans les cieux. Ange scruta les alentours, repéra le panneau publicitaire rouge et blanc de Coca Cola, puis prit l'homme par la taille pour le guider précisément à l'emplacement précis qu'elle venait de photographier en esprit. - «Là ça ira» proclama-t-elle en vérifiant une toute dernière fois un millier de détails en un clin d'œil. - «Mais que fais-tu?», cette fille était vraiment particulière songea-t-il en se laissant manipuler. - «J'affectionne tout particulièrement avoir des souvenirs précis et structurés. Tu vois, là c'est la MYFP, en fond, bien en grand, comme une auréole, il y le bâtiment de la UNE - sans qui nous ne serions pas là - et là, il y la pub pour Coca Cola, ça me fera un cliché inoubliable avec toi, au milieu, comme mon centre du monde! Vas-y, donne-moi ton alliance à présent». Terry s'exécuta: - «Je te donne cet anneau, preuve de ma sincérité" improvisa-t-il en lui glissant l'objet au doigt. Ange l'embrassa furtivement au coin des lèvres. - «Viens, je t'offre une Budweizer, tu aimes la bière, ne me dis pas le contraire, j'ai étudié ta fiche par cœur!» mitrailla la femme en l'emmenant de nouveau à l'intérieur. Cela faisant, elle insista en lui montrant le logo de Budweiser de son index tendu. Ce tout premier tête à tête se termina bien tard en soirée. Ils s'échangèrent leurs coordonnées privées, prirent rendez-vous pour le lendemain et se quittèrent sur un baiser langoureux. Un vrai celui-là, pas un baiser de cinéma du siècle dernier. Jamais encore Terry n'avait rencontré une femme qui embrassait si parfaitement. Ce baiser-là était sensuel, excitant, envoûtant. Si fabuleux, que jamais il ne pourrait l'oublier. C'était une fille merveilleuse. Pas très grande, mais idéalement proportionnée. Taille fine, croupe incendiaire et cambrée, poitrine ronde, ferme et naturellement soutenue (Terry avait bien vite remarqué que la jeune femme ne portait que très rarement un soutien-gorge). Ses yeux, d'un vert profond lambrissé de jaune bariolé rendaient son regard félin; son nez taquin était parfaitement proportionné; ses lèvres pulpeuses, mais pas trop, faisaient penser à un fruit rouge, mûr et juteux dans lequel on avait envie de mordiller à satiété; sa peau, légèrement ambrée naturellement, ne laissait paraître aucune ride ni aucun plis ni aucune pilosité hostile, elle était de surcroît d'une douceur extrême, quasi surnaturelle; quant à sa dentition, elle était d'une blancheur et d'une régularité si universelles qu'elle rappelait la virginité la pureté à son état originel; enfin, ses cheveux, mi-longs, d'une blondeur supra-éclatante, étaient d'un soyeux si agréable au toucher qu'on aurait eu envie de les caresser des heures durant. Une véritable beauté. Un canon! ANGE n'était pas seulement ce prodige de la nature, cette exception de beauté unique en son genre, elle était en plus une véritable encyclopédie universelle incollable et cultivée à souhait. Orpheline depuis ses dix ans, cette jeune femme de 27 ans avait parallèlement à de hautes études commerciales, étudié les langues étrangères (elle parlait couramment quatre langues) et elle avait aussi suivi en cours du soir trois années de psychologie. Pour profiter de ses trop rares loisirs, Ange aimait cuisiner et lire. Un canon et une tête! Jamais, au grand jamais, Terry n'aurais pu espérer tomber mieux. Aujourd'hui Ses paupières si lourdes qu'il avait peine à les lever. On l'avait attaché à une couchette, on l'avait aussi cagoulé ou quelque chose du genre, car on avait recouvert son visage d'un tissus opaque, Terry ne savait pas, ne savait plus. Complètement groggy, il était à demi conscient et percevait l'environnement comme s'il avait été à 100.000 lieues de là. Les types autour de lui - il était emmené, semblait-il, dans un véhicule qui roulait rapidement - parlaient à voix basses et diffuses. - «marques sur le corps; traces de lutte; empreintes», les bribes qui lui parvenaient semblaient l'accuser. On le soupçonnait d'avoir agressé Ange et tout portait à croire qu'il n'y avait pas d'autre possibilité que celle-là. C'était leur quatrième rendez-vous; bien plus tard, Terry s'en souvint. Comme une série d'images subliminales, la scène lui était revenue tel un film comme l'on se repasse. La gentille serveuse de la Taverne où désormais ils avaient pris l'habitude de se rencontrer avait présenté la carte pour Terry, et déjà elle avait emporté la théière, ayant retenu que la jeune femme s'en tenait strictement au thé ordinaire. Comme les fois précédentes, Ange l'avait remerciée d'un sourire sincère qui en disait plus long qu'une formule toute faite et c'est au moment précis où la dame s'apprêtait à verser l'eau bouillante dans son récipient qu'un jeune garçon qui sortait précipitamment des toilettes dérapa sur le sol ciré et vint violemment bousculer la serveuse. Il y eut un cri, Terry s'en rappela clairement, un cri horrible. Un cri d'effroi et de surprise. Mais ce ne fut pas Ange qui se mit à hurler tandis que l'eau bouillante - une bonne partie de la théière - se déversait sur son poignet en fumant et en trouant son chemisier de soie transparente, ce fut la serveuse, surprise, confuse et impuissante, déséquilibrée et consciente de la catastrophe qui se produisait qui se mit à hurler comme une hystérique. Terry eut le réflexe de se reculer d'un bond pour échapper au liquide brûlant, si bien qu'il y échappa, et dans son mouvement de panique, il eut encore le temps de voir sa malheureuse amie sourire avec complaisance au petit bonhomme en pleurs qui déjà se confondait en excuses auprès de tous ces adultes qui s'étaient agglutinés autour de la table. Ensuite, tout avait été très vite, Ange s'était levée d'un bond, elle avait enjambé la banquette avec souplesse, elle avait emporté son sac à main et s'était précipitée dans les toilettes pour dames. Le tout en un clin d'œil, si vite et si précisément que ni la serveuse ni personne n'avait eut le temps de réaliser. - «Je vous demande pardon» balbutia la dame en se tenant la main droite ébouillantée. Terry fonça aux toilettes, mais déjà la porte battante s'était ouverte, laissant réapparaître Ange, toujours aussi sereine. Son visage illuminé de beauté ne trahissait ni la souffrance ni la colère, comme figé sur un sourire béat. Elle avait - très rapidement - enveloppé son poignet dans une serviette humidifiée qu'elle avait soigneusement enroulée sur les brulures de manière à ne rien laisser paraître et elle s'accroupit lestement près du gamin pour le serrer dans ses bras et le rassurer en lui ébouriffant les cheveux amicalement de sa main intacte. - «Il faut te faire visiter par un médecin!» avait lancé Terry en tentant de la relever par l'épaule, mais Ange refusa catégoriquement - «Ce n'est rien, demain il n'y paraîtra plus» avait-elle encore conclu en ne voulant pas que Terry s'intéresse davantage à son poignet meurtri. - «Il n'y a pas de 'mais', emmène plutôt cette pauvre dame aux urgences, elle en bien plus besoin!» avait-elle renchéri en enfilant son cardigan - «On se voit demain ...», elle avait encore subrepticement embrassé du coin des lèvres et elle avait disparu presque aussi rapidement. à suivre ...
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Style : Nouvelle | Par Tehel | Voir tous ses textes | Visite : 362
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Commentaires :
pseudo : bibiche.g
excellent;c'est tres...je trouve pas le mot,bravo j'attends la suite...
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