Elle est arrivée tranquillement et s'est attablée avec nous, à une place libre, une place qui avait toujours été la sienne et qui sans doute l'attendait, à distance égale de chacun de nous, assez près pour bien nous entendre, assez loin pour qu'aucune familiarité ne soit gênante. Elle a posé ses bagages sous la table, un peu de philosophie glanée au cours de sa vie, beaucoup de perspicacité et assez d'amour de la vie pour en distribuer à tous. Nous étions en train de manger, certains avaient amenés leur casse-croûte, d'autres goûtaient au plat que tout le monde se partageait, d'autres encore se contentaient de quelques miettes mais tous se rassasiaient. Elle parlait posément avec cette assurance que donne l'expérience de la gentillesse, avec une retenue que le savoir lui conférait. Elle avait un peu faim. À la manière qu'elle a eu de demander du saumon, en papillote, le cuistot a vite compris qu'elle savait ce qu'elle voulait, il a compris aussi qu'elle aimait bien manger et ma foi, cela correspondait bien à l'idée qu'il se faisait de cette dame un peu chic, un peu décontractée, mais réfléchie. Alors, il a pris un peu de pâte hollandaise pour en faire un chausson, mi brioché, mi feuilleté, et délicatement, il a levé un joli filet dans le saumon tout frais. Dans une petite casserole, il a fait un tout petit roux, trois fois rien, le début d'un appareil où il a jeté un peu d'estragon et qu'il a allongé de crème jusqu'à ce qu'elle épaississe bien. Le grésillement du beurre salé résonnait comme ce qu'il avait lu de cette dame, cela mettait en appétit et la crème avait la même onctuosité que ses poèmes. L'estragon, cela permet de glisser une pointe d'acidité pour mieux étouffer le gras du saumon. Il a matelassé le chausson de cette crème, a déposé le saumon dessus et a recouvert de praires décortiquées et de queues de crevettes grises. Après avoir recouvert du reste de crème, il a refermé le chausson et l'a badigeonné d'un peu de jaune d'œuf délayé. Il fallait aussi que ce soit beau, elle le méritait bien. Le four s'est rapidement chargé de cuire, à peine, ce chausson mêlant tous les goûts qu'elle recherchait, avec gourmandise mais sans avidité. Quand il lui a apporté son met, et qu'elle a, d'un geste preste, ouvert cette croustade, il lui a semblé que ses yeux brillaient comme les siens quand il la lisait.
Quel bel échange !
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Style : Poème | Par obsidienne | Voir tous ses textes | Visite : 714
Coup de cœur : 9 / Technique : 8
Commentaires :
pseudo : ficelle
oui, Brestine c'est tout cela ! Merci de ta présence, et de ta lecture régulière.
pseudo : monalisa
BRESTINE EST CE DÉLICE QUE TU DÉCRIS AVEC RESPECT ET DÉLICATESSE. MERCI A TOI .
pseudo : Cécile Césaire-Lanoix
Quel bel hommage! Ce texte est d'une grande beauté par son raffinement. Bravo Obsidienne! Brestine mérite bien un tel hommage. J'apprécie beaucoup ses visites ; et sa sensibilité ainsi que sa gentillesse me touchent.
pseudo : Brestine
Mon dieu, quelle délicatesse ! Suis-je en train de rêver ? Je suis tout émue...tout indimidée... Je relis et savoure ce merveilleux moment, puis me fait toute petite. Je suis démasquée, moi et ma gourmandise... Un grand merci, mon cher ami.
pseudo : ifrit
Je suis moi aussi tout ému de cette apothéose du goût, simple et délicieuse. Un rien de gourmandise dans l'appétit, juste ce qu'il faut pour en vouloir toujours et encore, et toujours à nouveau.
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