Un nuage de fumée s’élevait dans le ciel cramoisi de Gaza ; Faycal leva les yeux et les referma soudainement.
Cinq.
C’était le cinquième bombardement que Faycal comptait, entendait, vivait.
Sur le chemin de l’école, il récitait dans sa tête la poésie que son professeur lui avait donnée la veille. Aujourd’hui, c’est certain, il passera devant la classe afin de réciter le texte ; M. Malek commençait toujours par interroger Faycal, c’était pour lui une habitude, un rituel depuis ce début d’année.
Faycal se plaçait toujours au dernier rang, et toujours le regard levé en direction de la fenêtre, du ciel, de l’ailleurs, de la paix, Faycal pensait à tous sauf à M. Malek.
Six.
« Si l’olive se souvient de son planteur, son huile se transformera en larmes ».
Faycal aimait réciter ce premier vers, il avait demandé à sa mère de le lui broder sur un tissu qu’il avait collé sur le mur de sa chambre, sa chambre à lui et à ses 5 frères.
Faycal ne savait rien de l’exclusivité, sa vie était faite de partage dans le meilleur des cas et de renoncement dans le pire.
Comme à son habitude, il s’imaginait une double vie sur le chemin de l’école, aidait de son cahier de géographie, sa muse à lui, il se voyait vivre en Chine, loin de la guerre et des bombardements, il aspirait à s’offrir un bateau et à voyager sur les mers.
« Si l’olive se souvient de son planteur, son huile se transformera en larmes ».
Il se souvint du drame d’hier soir, sa mère en larmes, lorsqu’on vint lui amener la dépouille de son frère, mort dans les décombres de sa maison, une maison qui n’en était plus une depuis les derniers bombardement, l’oncle Moussa refusait de reconstruire sa maison, il s’était laissé envahir par le fatalisme et la lassitude, il disait souvent « Ce que Dieu détruit sur terre, Dieu le rendra dans l’au-delà ».
Faycal se demandait souvent pourquoi Dieu détruisait inlassablement la maison de l’oncle Moussa, et surtout si les obus tombaient du ciel, est ce que Dieu lui-même les envoyait? Il avait pensé à poser ces questions à M. Malek mais celui-ci n’aimait pas parler des bombardements, des juifs et de la guerre ; il disait que souvent, ces trois mots seuls suffisaient à lui donner l’envie de crier et de pleurer. Et Faycal s’imaginait alors M. Malek pleurant la vie. Il n’avait jamais vu d’hommes pleuraient et se demandait si les larmes des hommes étaient semblables à celles des enfants.
Sept.
Faycal se doutait bien qu’une vie sans guerre était possible, on lui avait raconté qu’il existait des pays où les hommes n’entendaient pas les bruits terrifiants des bombardements, ne sentaient pas l’odeur funeste de la terre mêlée au sang, il savait qu’il existait de par le monde des terres qui ne souffraient pas dans leurs chairs et dans leurs cœurs, des terres qui étaient vertes et belles, qui était embaumait du parfum du bonheur et de la quiétude. Mais il ne connaissait pas ces sentiments ; la quiétude, la sérénité de l’âme et de l’esprit ; il ne savait pas ce que ressentait un enfant qui vivait sans la crainte de voir mourir sa mère à chaque minute, à chaque seconde de son existence. Il ignorait tous de ces sentiments. Les siens, il était né avec, il avait grandi avec l’inquiétude, la terreur, la tristesse des périodes de deuils. Faycal avait vécu deux naissances et neufs décès. La pauvreté avait bercé son enfance, la crainte et la frayeur accompagné sa vie d’écolier, ils lui étaient fidèles, le suivaient aussi minutieusement que son ombre.
C’était la vie pensait-il. C’était sa vie.
Huit.
Faycal sursauta et leva les yeux au ciel ; la fumée avait caché le soleil et les nuages, l’œuvre des hommes avait voilé celles de Dieu.
Faycal ne pensait plus à son poème ni à M. Malek qui attendait de lui l’excellence. Il pensait à l’injustice, à la colère, à la tristesse et à la vengeance. La fumée lui piquait les yeux et faisait couler des larmes sur ses joues. Il savait que la guerre ferait de lui un homme brave et fier plus tard, il savait qu’il n’avait d’autre échappatoire, il irait lui aussi défendre son peuple et sa vie, défendre sa terre et ses droits, défendre son âme et son cœur contre l’intolérable et cruelle injustice que l’homme avait fait abattre sur son peuple. Il avait appris qu’il ne fallait jamais en vouloir à Dieu, l’homme seul est coupable de ses méfaits et de son malheur. Il pourrait toutefois apprendre un métier, il pourrait devenir professeur comme M. Malek, ce dernier lui avait même promis des cours du soir s’il le désirait, mais Faycal savait que la colère prendrait le dessus sur l’ambition.
Il aimait à penser qu’il se battrait aussi pour M. Malek, il sera alors fier de lui et de son engagement, il pensera même que son existence n’était pas vaine et oisive, M. Malek disait souvent qu’un but dans la vie faisait d’un homme un homme.
Et afin de le rendre fier dès à présent, Faycal reprit son poème et le récita à haute voix, comme pour le faire entendre de ceux qui l’entourait, la terre, le ciel et la vie, « Si l’olive se souvient de son planteur, son huile se transformera en larmes ».
Neuf. Les bombardements couvraient le son de sa voix frêle et douce.
Alors, une force nouvelle l’animait, un sentiment profond et intense émanait de son être, c’était une volonté éclatante de vouloir s’imposer de droit, sa voix devait se faire entendre ; il récita son vers encore plus fort, sa voix retentit à travers les airs et il fut satisfait de voir que le bruit des bombardements s’inclinait face à la majesté de sa voix d’enfant.
Il jura alors que de son vivant, il fera toujours entendre sa voix face à l’injustice ; la plume et la voix sont l’allié du meurtri, ce sont des baumes, qui à défaut de refermer la plaie, l’estompe et soulage.
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Style : Nouvelle | Par Allissacarthage | Voir tous ses textes | Visite : 475
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Commentaires :
pseudo : monalisa
BIENVENUE ALLISSACARTHAGE. J'ai été touchée par ton émouvant texte sur une situation dramatique vu par les yeux d'un enfant qui nous montre la souffrance quotidienne et la peur qui y règne. Mais c'est la fin qui m'a touchée aussi de voir cet enfant qui prendra le chemin des mots pour lutter afin que les générations futures vivent dans un monde meilleur c'est ce que l'on souhaite de tout coeur pour eux.
pseudo : ricardopietro
Outre le sujet malheureusement prenant, le style et l'écriture sont bons et l'orthographe également. Une force d'écriture dans le choix des mots et du rythme. Apréciable ;-D
pseudo : nananou
Bien que je ne sois pas une litéraire je trouve que le texte a du style et qu'il aborde un sujet difficile à traiter sans prendre partie. Or l'auteur a su montrer la gravité de la situation sans faire part de ses sentiments .
pseudo : scribio
bienvenue Allissacarthage, ton texte est trés émouvant, d'autant plus vue par les yeux d'un enfant, enfant qui ne peut avoir d'enfance, enfant qui subit la follie des hommes, et belle note d'espoir, car cet enfant pourrait prendre un tout autre chemin, il choisit celui des mots
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