Et parfois nos têtes se choquent doucement, échouent l'une contre l'autre comme deux caravelles qui ont à débarquer les trésors ramenés des campagnes victorieuses. Il passe tant d'or dans nos yeux, il y a tant de soie dans le frottement de nos peaux, il y a des épices inconnues dans nos pensées et rien de tout cela ne nous encombre. Au moment où nous atteignons les limites de nos sens, quand nos yeux ont donné à voir ce que nous aimons, que nos oreilles ont enregistré les ondes qui nous font du bien, nous sentons bien une force comprimer tout notre intérieur pour nous offrir un surplus de sensation, quelques secondes volées à l'horloge et qui deviennent de longues histoires muettes pleines de chacun de nous. À ce moment tout s'arrête, la colère des autres, leur indifférence, la neige qui tombe, toutes les maladies et encore la soif ou n'importe quelle envie, il n'y a plus de temps pour rien, il n'y a plus de temps du tout, il n'y a plus que cette concentration d'amour que l'on sent passer comme par osmose entre nos deux fronts, entre nos deux pommettes. La parole même devient dérisoire et se suspend à notre respiration. Et puis ces corps que nous avons investis d'une mission spirituelle ont brusquement besoin de respirer, de faire circuler un peu de sang, de continuer à vivre, alors délicatement nos yeux cherchent à reprendre le dialogue où nos cœurs l'avaient laissé et nous nous sentons perdus.
Seuls nos bras trouvent encore le chemin de leur bonheur et nous nous étreignons, sans un mot, avec de l'or dans les yeux, des épices dans nos cœurs et de la soie autour de nous, un nuage heureux.