Ouessant, le 13 juin 1975
Mon cher Jack,
J’ai découvert un trésor dans ton île. Oui, je me suis décidée à monter dans l’un de ces coucous mais tout valait mieux que trois heures de traversée accrochée à une rambarde. Et, j’aime autant te dire qu’Eole n’était pas de bonne ce matin-là. Quelle injustice, Jack, comment peut-on autant aimer la mer et autant souffrir quand elle vous porte ? Le nez collé au hublot, j’ai observé les chalutiers que les flots énervés ballottaient en tous sens. Le ciel se pommela de petits nuages blanchâtres qui de temps à autres s’effilochaient. J’ai quand même pu apercevoir des fragments de l’île où finit la terre. Dis donc, tu m’avais caché qu’elle a la forme d’une pince de crabe. Et puis, le phare dont tu m’as si souvent parlé, tu sais celui perché au somment d’une impressionnante falaise. Il me semble qu’il m’a saluée au passage.
Le bimoteur m’a débarquée au milieu de nulle part. En fait, au milieu d’une végétation qui pousse si près du sol qu’elle semble vouloir se protéger des colères du vent. J’avais, moi aussi, du mal à tenir debout. « Vous voyez cette masure aux volets verts ? C’est celle de Goulven, il loue des bicyclettes. Croyez-moi, il est préférable de se balader à vélo, chère petite madame » me conseilla le pilote. T’imagines ? Moi qui n’ai plus posé les fesses sur une selle depuis…Oh !
Papa avait raison, la bicyclette cela ne s’oublie pas ! J’ai déambulé sur les sentiers qui longent les falaises. Mon coup de pédale, loin d’être énergique, me laissait le temps de humer les senteurs particulières des petites fleurs d’un jaune acidulé qui fendent gaiement les rochers : le fenouil de mer, « fanouilh-mor » disent les gens par ici. Il paraît qu’elles ne craignent pas les embruns ; figure-toi que moi non plus, j’étais en nage. Je me suis approchée, avec prudence, rassure-toi, du bord de la falaise. Les vagues se fracassaient contre les îlots rocheux parsemés çà et là dans l’océan ; un spectacle féerique Jack.
Chemin faisant, j’ai pris un bon moment pour observer l’architecture spécifique de ces robustes maisons, alignées telles de vaillants soldats le long de la crête, prêtes à résister aux assauts du vent. J’avais à peine repris ma bécane qu’au détour du chemin, un panneau indicateur reprenait en lettres majuscules « MOULIN DE BAY ». Avec l’impatience que tu peux imaginer, j’ai accéléré la cadence.
Il était là, droit devant, sa volée face au vent. L’imposante tour en pierre de granit se dressait majestueuse quoiqu’un peu tristounette d’avoir été si longtemps délaissée. Un écriteau en faïence bleu canard surmontait l’entrée. On y devinait encore en filigrane une espèce d’armoiries et un nom, celui du meunier : «Elarig QUENEUDEC »
Et oh ! Miracle sur la porte de bois vernis pendouillait encore la pancarte « à vendre » Oui, Jack, j’ai trouvé un trésor sur ton île.
Je t’attends.
Ta frangine,
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Style : autre | Par Chantal Adam | Voir tous ses textes | Visite : 1212
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Commentaires :
pseudo : BAMBE
Un excellent moment passé, par la grâce de votre plume, sur cette île.
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