Cela commence par presque rien, une caresse souvent anodine sur le corps allongé là, une curieuse sensation sur cette peau connue. Parfois, c'est un regard un peu étendu, pas inquisiteur du tout, une forme de transmission de pensée mal faite. Le temps qu'il faut pour savoir où l'on est, avec qui et pourquoi on est là. La main court sur le visage, l'air est propice aux échanges de sourire, alors, on ne s'en prive pas. Et puis, parce que le geste ne demande pas beaucoup d'effort, l'esprit travaille. Il aborde des questions graves qui mettent en jeu l'existence de ces deux personnes, ce qu'elles ont à mettre en commun comme un repas qui ne s'arrêterait jamais où l'on apporte sa pitance, il évalue, parfois en termes de chances, parfois en termes de possibles, parfois en petites peurs incontrôlées cette situation somme toute agréable.
Et pour soutenir ce geste banal, suivi d'un autre, chacune des cellules se met en mouvement, le corps s'échauffe un peu, il est dispos, il sent bien sur lui la marque du même geste de l'autre, un peu différemment, avec parfois un rythme irrégulier, étonnant.
À ce moment précis, la bouche s'entrouvre pour laisser passer le trop plein de ce travail pour lequel une personne ne suffit pas et quelques mots se forment : «je t'aime».
Ce n'est pas une affirmation, on le sait depuis longtemps, c'est juste l'indication que l'on offre son existence à l'autre à ce moment précis et peut-être à d'autres moment, et qu'on est aussi capable de l'entendre dire la même chose, même et surtout si on a gagné (quand on dit je t'aime, c'est toujours le premier qui le dit qui gagne).
D'ailleurs cela tarde rarement : «je t'aime, moi aussi». Là non plus, ce n'est pas une affirmation, ce n'est pas plus une réponse. Cela veut dire : «je suis content que tu aies gagné, je me rends à toi ».
Parfois les corps se reposent, parfois ils continuent à fabriquer mille choses excessives qu'ils vont exprimer différemment. Mais après un «je t'aime», c'est toujours du bonheur qui s'annonce.
La vie est bien faite. Je t'aime