Sur mon front défilent des photographies
Je remonte le calendrier magique
Jusqu'aux dates historiques de notre voyage.
Eux que nous oublions, étaient restés là-bas,
Alors que vous et moi isolés, portés par des cigognes,
Nous autres bien-aimés, des ailes nous emportèrent
A Barcelone.
Le dos allongé sur la terrasse,
Au rivage de la ville, aux racines de sa folle chevelure,
Vous et moi, tournoyant dans les ruelles,
Vifs, terribles, graines de rose propulsés dans une foire d'arbres exotiques,
Croissant au gré du hasard, aux heures ou notre temps fuit,
A l'ombre des clowns travestis, des sirènes, des accordéonistes et des cafards.
Nous, le collier de perle, heureux comme un bourgeois,
Les dix boules qui s'entrechoquent
Notre encolure fait le tour de la guitare et enfourche le tourniquet,
Clinquant sur les manèges, prenant les danses et les contre-danses. La nuit finit bien,
Au creux d'un rideau moelleux, dans la pénombre du matin nous reposons côte à côte,
Et un arc en ciel surgit de nos sommeils.
Les sept jours passent, ils nous submergent,
Après cette ultime nuit, les premiers avions décolleront,
Et, à l'heure du dernier repas, au milieu de vous,
De bonnes paroles s'élèvent,
Des promesses de survie,
Des prophéties de résurrection.
Le tableau change,la toile se déchire, et l'alarme du musée retentit,
Il n'y a plus de Sauveur, et des larmes de sang coulent de la Cène,
Car moi je ne dois pas,et ne veux pas, partir sur une croix
Je jure de croire aux mots d'alors,
Répétés aux âmes divines,
Repétés aux souffles des corps,
Qui s'entrelassaient et se partagaient des oranges sanguines,
Illuminants d'un cri les murs de leur estival corridor.
Adieu à la terrasse penchée vers la rue, aux plaintes des motards.
Et,comme un chef qui promet la victoire à ses hommes,
S'exposant à la lune, ce soir là, Barcelone posait sur le crâne du Passé, une couronne.