- « Vas-y, lis-moi un morceau ! »
Sous cet abri où le soleil indiscret rougit la peau à faire suffoquer si on n'y prenait garde, il saisit le livre d'un geste sûr, et doucement se met à parler.
Et avec son accent merveilleux, il dépose un peu de beauté sur chaque mot, comme s'il les recouvrirait d'un voile doré. Les textes deviennent si courts que je dois quémander comme une enfant : « encore un autre s'il te plaît ! »
- « Non, c'est à ton tour » me répond l'ange, me tendant gentiment le livre entrouvert.
Alors je choisis une page et continue la lecture.
L'ange est trop attentif. Cela devient à la fois embarrassant et exquis d'être pour un instant à la source de toutes ses pensées.
On entend en arrière fond la mer se lever, se pliant et se dépliant, tantôt forte ou légère. Elle semble nous livrer des secrets à nous seuls murmurés. Et les enfants derrière nous qui n'arrêtent pas de piailler nous obligent à chuchoter.
Jamais totalement sûr des mots qui sortent de sa bouche, ni de leur sens exact, l'ange, le nez collé à même le papier, me lance des regards interrogateurs sans arrêt. Il égrène chaque mot comme les perles d'un chapelet, recréant par là-même plus de magie que le texte n'en recèle. Voilà donc que même la poésie devient moins belle que la réalité.
- « C'en est trop, de soleil et de mots. Allons nager ! »
Arrêté au beau milieu d'un couplet, le livre est vite délaissé. Adieu les tournures compliquées et les effets de style, nous on préfère s'en aller !
Je vois l'ange courir dans l'eau, si vite il s'éloigne de la rive que même en accélérant je ne peux le rattraper.
Et soudain plus rien.
Un tour d'horizon après, je me sens comme happée par quelque chose. Et d'un seul coup je suis submergée. L'ange croit peut-être que je peux respirer sous l'eau. Mais il n'en est rien, déjà prise de panique, doucement je m'en remets à sa volonté ; qu'il fasse de moi ce qu'il lui plaît. Enfin il relâche la pression qu'il exerçait.
Alors je sors de l'eau, exultant littéralement, ne savant même plus respirer. Et je suis emplie d'énergie positive. Tout est beau alentour, et le monde est magnifique.
Les rires de l'ange me ravissent tellement fort que je ne peux plus m'arrêter de prendre du plaisir.
Je suis un vainqueur et je crie victoire : « regardez-moi, j'ai gagné ! »
La vie me sourit pleinement.
C'est tellement beau l'amour quand il a décidé de s'en aller de soi, et qu'il va voler dans le monde entier, libérant l'être de sa propre gravité. On n'a alors plus aucune prise avec rien, ni même la terre sous nos pieds...
Eclaboussures d'eau, l'ange revient à l'assaut, mais je ne le laisserais pas gagner.
- « Essouffle-toi Amour, pour que ton âme toute entière se déverse dans l'eau ! »
De même que cette eau salée, mon être s'est épicé. Tentatives de baisers avortées avant même d'être lancées. L'ange n'ose plus ni sourire ni me regarder. Il me fuit un instant, s'en allant en solitaire tête baissé.
Silence bien mérité, mais il est écrit qu'il serait de courte durée ; l'ange est parti pour mieux revenir. Les mains remplies d'eau qu'il me lance à pleines pelletées, si fort qu'il me fait crier...
Alors j'éclate dans de grands rires vifs et sonores.
J'adore rire et crier en même temps.
J'adore vivre plus fort.
J'adore nager.
J'adore toucher de mes mains le Paradis.
J'adore cette eau parfumée et iodée, elle qui brûle les yeux et nous redonne la vie.
J'adore l'amour. J'adore la vie. J'ADORE !
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Style : Poème | Par Batoule | Voir tous ses textes | Visite : 777
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