Orphelin très jeune, j'ai été placé dans un établissement religieux.
Banal et courant dans les années 50 !
Toujours aussi banal, les braves religieuses en charge de la ribambelle d'égarés que nous étions ont eu à cœur de nous donner la meilleure éducation spirituelle possible. C'est ainsi qu'il m'a été enseigné l'existence d'un Dieu régnant sur nous, plutôt sévère et vindicatif. J'appris aussi l'existence d'un enfer et des démons. Ma cervelle de gamin de huit ans, désorientée par les coups de la vie, a été particulièrement frappée par les récits concernant ces drôles d'anges noirs. Pour tout dire, ils m'inspiraient une peur bleue. Je ne pouvais pas m'endormir sans la visite de ces satanées (c'est bien le mot n'est-ce pas ?) légions pour m'inviter à jouer au barbecue géant avec moi dans le rôle de la merguez.
Lorsque j'ai quitté l'orphelinat à la fin du cycle scolaire, les légions infernales de mes rêves ne m'ont pas abandonné. Au contraire, les feux de l'adolescence, et quelques lectures osées, je le confesse, leur ont ajouté quelques démones sexy mais néanmoins tourmenteuses.
Ma passion des bouquins m'a mis, un jour, en possession d'un traité de Kabbale. Obnubilé par l'atmosphère mystérieuse développée autour de cette vieille science, j'ai dévoré le bouquin. En le fermant mes angoisses étaient plus fortes que jamais.
Je venais d'apprendre le découpage de la création en quatre mondes. Les deux premiers nous concernent directement. Le premier est Assiah, le monde de l'action, le nôtre. Le deuxième est appelé Yetsirah, le monde de la création, auquel nous avons accès par la pensée. Je vous passe les autres.
Jusque là il n'y a pas de quoi avoir peur, n'est-ce pas !
A un détail près cependant : l'auteur précisait que dans le monde de Yetsirah, la pensée de l'homme est créatrice. C'est elle qui donne vie aux anges et autres êtres spirituels. La seule chose retenue de cette lecture : mes rêves créaient les démons.
A partir de ce moment ce ne furent plus seulement mes rêves qui furent remplis de peurs mais mes journées aussi.
Lorsque je me trouvais tard dans une rue sombre, le moindre bruit me faisait sursauter. Je regardais tout autour de moi cherchant le démon qui venait m'attaquer. Si j'entrais dans des pièces vides, j'explorais le dessous des meubles et les placards avant de m'installer.
Plus le temps passait, plus s'affirmait en moi l'invasion prochaine de la Terre par les copains de Lucifer.
Un matin, je me suis réveillé curieusement en forme. J'avais passé une bonne nuit, sans rêve effrayant. Je me suis levé en sifflotant convaincu que les suppôts de Satan avaient décidé de me laisser tranquille. C'est donc plein d'allant que j'ai expédié le petit déjeuner et pris le chemin du boulot.
Hélas !
J'ai aussitôt compris pourquoi aucun être maléfique n'était venu hanter ma nuit.
J'ai compris également que Yetsirah ne concerne pas que le monde judéo-chrétien.
A peine avais-je mis le nez dehors qu'un jet de flamme arrivait sur moi. J'ai eu tout juste le temps de me jeter à plat ventre dans le caniveau pour l'éviter. J'ai quand même été partiellement atteint et obligé de me rouler par terre pour éteindre ma veste en flammes. Mon cracheur de feu continuait de se diriger sur moi. C'était une espèce de statue de métal hérissée de lames métalliques de partout. Elle projetait devant elle des gerbes de feu. Son poids devait être important car il n'avançait pas très vite sur ces roues grinçantes.
Heureusement pour moi !
J'échappais assez facilement au monstre mais le cauchemar n'était pas fini.
Passé le coin de la rue, qui me protégeait des jets enflammés, je tombais sur un attroupement effrayant. Une douzaine d'êtres, vêtus de longues capes noires, encerclaient deux jeunes femmes et un vieillard et plongeaient leurs longues canines dans leur corps. Un vrai carnage ! Ils ne se contentaient pas de boire leur sang en perçant la jugulaire. Non, sans doute parce qu'ils étaient trop nombreux pour leurs trois victimes, ils les déchiraient comme l'auraient fait des lions et se repaissaient du sang qui giclait de partout.
Ils étaient trop occupés pour s'apercevoir de ma présence et je m'empressais de m'éloigner.
Mon demi-tour me ramena dans ma rue, nez à nez avec le faucheur dont une des lames m'entailla le bras gauche à cause de mon réflexe de protection.
Je repartis en courant en direction d'une autre rue. Cette fois c'était des êtres aux cornes de bouc, le corps entièrement couvert de poils, avec des sabots fourchus à la place des pieds, qui entouraient un groupe dont partaient des cris de terreur. Avant de bifurquer dans une ruelle toute proche, j'eus le temps de voir au milieu des assaillants qu'il s'agissait de religieuses dont les infernaux lacéraient les vêtements. Le sort qui les attendait ne fit aucun doute pour moi lorsque je vis les énormes pénis érigés des monstres.
Hélas ! Je venais d'emprunter un cul de sac. Je n'avais pas le temps de réfléchir, je m'engouffrais dans un portail dont un battant entrouvert paraissait m'inviter. Je me retrouvais alors dans un escalier qui s'enfonçait assez loin en sous-sol. Descendre provoquait un réflexe de crainte dans mon esprit mais les cris qui retentirent soudain dans la rue me poussèrent à dévaler les marches.
Une lumière tremblotante m'apporta un peu d'espoir. Un autre fuyard devait se trouver là et nous pourrions peut être, à deux, trouver un moyen de regrouper d'autres personnes pour combattre cette invasion infernale.
En fait, il s'agissait d'une fugitive. Elle devait avoir un visage agréable une fois débarrassée du noir de fumée, strié de traces de larmes, qui la barbouillait. Sa crinière rousse aurait sûrement gagné à être disciplinée. Les vestiges de sa nuisette dévoilaient un corps de déesse sur lequel, malgré les circonstances, mes yeux s'attardaient avec plaisir.
Pour montrer que je venais en ami, j'écartais les bras du corps et m'avançais vers elle, mains tendues. La belle inconnue comprit que nous étions compagnons de fuite et vint se blottir dans mes bras, secouée d'une crise de sanglots où se trouvait réunie toute la détresse du monde. Compatissant, je la serrais contre moi. Je dois reconnaître que la quasi-nudité de ma camarade d'infortune me troublait quelque peu en dépit du moment. Sans doute était-elle troublée, elle aussi, parce que je sentis bientôt ses bras me serrer plus fort contre elle. Elle serrait vraiment très fort d'ailleurs. De plus en plus fort. Il fallait que je lui dise d'arrêter sinon elle allait m'ét...ouffer. Son visage se leva vers moi... Les mots que j'allais prononcer se transformèrent en cri devant les deux longs crochets de serpents pointés en direction de ma gorge.
Au secours... Au sec...
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Style : Nouvelle | Par Chollet Mikael | Voir tous ses textes | Visite : 1131
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Commentaires :
pseudo : Cécile Césaire-Lanoix
Quel récit passionnant! Ce fut un réel plaisir de le lire. Bravo!
pseudo : Mikael Chollet
Merci de cette appréciation.
pseudo : VIVAL33
Je viens de lire "Cathy", et là, c'est un autre visage d'une femme rousse qui clôt la nouvelle... angoissant à souhait!
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