Et pourquoi j'écrirais quelque chose qui ne me ressemble pas ? Je regarde mon clavier afin de ne louper aucune lettre, je regarde mes doigts taper sur les touches, les notes du clavier, chaque lettre produit un son différent pour former une phrase qui a autant de sens qu'un canon a de variantes, Pachelbel ne s'y retrouverait pas lui-même ! Je ne sais pas ce que j'écris, ni ce que ça donnera plus tard, mais au moins, je me vide la tête. Je ne vois plus mes clients, je ne vois plus mes doigts, je sais juste que je tape à l'ordinateur. J'ai peur. J'ai peur qu'on ne veuille plus de moi, qu'on m'oublie. J'ai peur peur peur peur peur peur peur peur peur peur peur peur peur... ll va falloir que je m'habitue, la peur est omniprésente. Syndrome de folie, je veux dire symptôme ? Peut-être ou alors c'est déjà fait, mais qu'importe, on m'aime comme je suis, ou on ne m'aime pas. J'ai tellement peur de ça, et c'est ce qui est arrivé, je l'ai voulu tellement fort pour ne pas avoir à souffrir de la souffrance des autres, de ceux que j'aimais, peu importe ce qu'il fallait faire, s'il fallait m'ouvrir les veines et déchirer mon coeur, je l'ai fait, et aujourd'hui seulement je sens le sang couler sur ma peau, mon corps devenir froid comme la pierre et mon âme s'enfoncer dans la terre fraîche, humide, on m'enterre. Mais qui m'enterre ? Ce sont les éboueurs de l'Enfer. Mais pourquoi en Enfer ? J'ai fait tant souffrir, on ne dirait pas comme ça, je ne suis pas quelque de fondamentalement mauvais, mais mes techniques ne plaisent pas aux cieux. Libérer la conscience humaine, en faire une proie, un appât pour une âme plus grosse, se nourrir des sentiments, souffrance, tristesse, amour.................................Amour. Mon coeur bat, il tremble dans ma poitrine, il écarte mes côtes et sort, furibond, plein de rage, il déchire mon sternum et va s'écraser sur mon clavier. Je le repousse avec les doigts qui ne tapent pas, il y en a quelques-un de temps en temps, mais je ne sais plus ce que j'écris, je ne vois que mes doigts qui tapent comme ça, comme animés d'eux-mêmes, je ne sais pas ce qu'ils tapent, ma conscience dérive, mais je sais qu'ils tapent; Ils veulent tout le mal du monde, ils le veulent en moi. J'ai choisi cette voie il y a bien longtemps en aidant cette pauvre femme à moitié morte. J'avais huit ans après tout, j'étais déjà fort, je pouvais tuer, faire vivre, nourrir, voler, marcher, parler, dormir, respirer et voir respirer les autres, sentir leurs âmes en décomposition se repaître du peu d'amour qu'ils pouvaient obtenir dans les pauvres rues qu'elles arpentaient, et s'enfoncer comme la mienne dans cette terre glacée. Est-ce cela mourir ? Alors je ne veux plus mourir, mourir est trop long, il faut se dépêcher maintenant, il faut vivre, il faut prendre, tout prendre, jusqu'à exploser, emportant avec soi tous les secrets immondes, tous ces saccages qu'on n'oserait dire ou même entendre de l'être humain, toutes ces horreurs qui portent un nom donné par l'Homme, et les voir se dissiper, fondre comme neige au soleil, le soleil qui ensuite vous brûlera la peau, vous rongera les os, pour ne laisser de vous que des souvenirs s'ils vous survivent. Vous êtes tous déjà morts mais vous ne le savez pas encore, vous êtes morts dans la tête des gens, ils ne pensent pas à vous, alors vous êtes morts, vous n'êtes plus rien sans eux, sans le regard des autres, vous n'existez pas, sans la pensée, sans l'amour, vous n'avez plus rien, en tout cas moi je n'ai plus rien, j'ai tout perdu, je le sens, je n'existe plus, alors quoi ? Que vais-je devenir ? Je n'arrive plus à voir mes doigts taper sur le clavier, ils vont trop vite. Je sens le regard des clients sur moi, mes doigts tapent fort mais ne ratent aucune touche, ils vont à une vitesse que je ne croyais pas capable pour taper au clavier, je sens même l'ordinateur trembler. Les clients me regardent. Ils voient mes yeux. Ils sont rouge disent-ils. Au secours !! Je ne suis pas seul ici, ils sont tous là avec moi, toutes ces personnes qui sont restées ici, et il y a lui, Lui avec qui je partage mon âme, mon esprit, il est toujours là, je lui ai donné le nom d'une divinité humaine mais il n'a rien d'humain, il est démoniaque, et je l'ai accepté en moi. Il est de feu, je suis de chair, il me brûlera un jour, ou nous devrons nous aider l'un l'autre jusqu'à la fin. Il recherche quelqu'un, il aime quelqu'un, et ce quelqu'un ne l'aime pas, c'est invraisemblable mais pourtant c'est la triste vérité, même les démons aiment en ce bas monde, et il semble qu'il aime une sorte d'ange, une nymphe comme celles qu'on peut voir dans les glaciers et les forêts, je crois que c'est beau l'amour . Je le vis en même temps que lui, je l'ai perdu comme lui, il fait vivre son histoire à toutes mes âmes, à toute mes vies, je crois qu'il m'aime aussi, mais je suis pour lui comme un frère jumeau, nous sommes pareil, fusionnés. Il brûle, je brûle, je saigne, il saigne. Nous ne faisons plus qu'un désormais,nous sommes un , il est fort, je le suis également, je n'ai pas tout compris mais c'est quelque chose de fort très fort, rien ne peut l'arrêter. Volonté, puissance, force, amour, faiblesse, honte, ... Honte alors que les clients me regardent, incrédules devant la vitesse de mes doigts, ils ne savent pas que ce n'est plus moi, j'ai trop changé désormais, je ne suis plus moi, Benjamin Tardy est mort ! Il est mort depuis longtemps, elle ne pense plus à lui, ce n'est plus qu'Elle qui pense à Lui, si Elle existe encore, je crois que oui sinon nous serions morts, nous l'aurions su bien avant que j'écrive tout cela.... Je dois arrêter...je dois arrêter je dois arrêter. Mes doigts se cabrent tels des étalons furieux. Je réduis ma vitesse. Je sens mes yeux refroidir. Mes lunettes sont brûlantes. Tout mon corps est raidi dans un effort ultime pour me détacher de la transe, cet instant de liberté incomprise. Raide, tellement raide, ça fait mal. Mes doigts sont de fer, de bois, une terrible écorce les recouvre, ou plutôt recouvre mes os, mes articulations ne répondent presque pas. J'ai pu lever ma tête. Mes yeux sont dorés, ils brillent, je le vois dans l'écran. Je me suis cassé une dent, enfin un petit bout, qui trotte près de mes lèvres. Tout est plus calme. Les clients ne me regardent plus, ce n'était rien. J'ai peut-être rêvé. Mais la douleur est là, et ces yeux. Ces yeux que j'ai eus, rouges de sang, puis dorés de lumière. Ils sont redevenus noisette, l'iris est cerclé de noir. Ca n'a rien d'étonnant, je suis éreinté. Je ne suis presque plus triste. La douleur va passer. Je peux bouger les bras à présent, mais je sens mes jambes lourdes. Une horrible crampe me saisit les mollets, puis les pieds, enfin les cuisses se détendent, décroisant les quadriceps. J'ai mal. Je me suis levé de ma chaise, difficilement, mes jambes tremblent, je n'ai pu que retomber lourdement.
Tout va mieux à présent, à part cet horrible mal de tête et ces courbatures terribles.

Je vais relire ce que j'ai écrit, je pense que je vais avoir de sacrées surprises...