Alors, j'ai senti une merveilleuse affection nous envahir, transmise par la simple imposition de nos bras, une douceur qui changeait nos âmes, une douceur qui fusionnait toutes nos histoires passées, tous nos soucis présents, et toutes les connaissances à venir en un immense cadeau, quelque chose qui s'incruste de l'intérieur comme on sertit un éclat de lumière, définitivement. Rien qu'un contact, une petite chaleur partie du ventre pour aller se loger dans le cœur de l'autre, un rayon de lumière jaillissant des yeux et qui va éclairer les possibles enfin réels dans les bras de l'autre, une accolade, une juxtaposition, un échange de silence. De la douceur dans chaque geste, de la gentillesse dans chaque regard, ce n'était pas une rencontre, c'était un état de bonheur, l'entrevue de deux amis qui se connaissaient bien mais qui ne l'ont su qu'à ce moment précis, quand ils ont pu accompagner les images qu'ils avaient patiemment composées d'une musique nouvelle pour eux, une musique qui chantaient leurs gestes amoureux de vieux guerriers, quand ils ont pu accrocher à leurs sourires des envies de baisers, quand ils ont pu déposer sur leurs lèvres douces tout ce qu'ils avaient oublié de dire.
Ils se connaissent depuis tout petits, depuis qu'ils savent aimer, depuis qu'ils savent qu'ils aiment, depuis qu'ils savent éviter les modèles castrateurs des amours instituées, depuis qu'ils s'offrent, depuis que le monde attend que les êtres s'aiment, sans violence aucune, avec le seul souci de participer à la construction d'une société nouvelle. Voilà mille ans que ces deux-là s'aiment, voilà mille ans qu'ils s'attendent. Et quand ils se sont enfin trouvés, plus rien ne pouvait les empêcher de s'offrir leur trésor, ce qu'ils avaient en eux et qu'ils avaient patiemment amassé, enjolivé, poli, magnifié, validé, déterminé, libéré.
C'était jour de richesse, ils sont repartis pétris d'amour, féconds, puissants, heureux.
Une merveilleuse affection les habitait.