Voici mon carnet de bord, carnet de voyage et quel voyage ! carnet vert, espoir... désespoir ...c'est pour communiquer avec « l'autre moi » que j'ai acheté ce carnet, celle de la nuit, qui bouffe et que ne réfléchit plus, qui n'est qu'enveloppe vide de tout : de cervelle, de viscères... mais pleine de gras. C'est pour la coincer, cette autre de la nuit, que je ne parviens pas à comprendre, ni à raisonner et qui m'empêche de m'aimer, d'être aimée et qui me suicide à petit feu, car ancrée en moi ; je ne la connais pas... mais je la vomis... ou peut être que je ne veux pas, inconsciemment, la connaître, car tenancière probablement des clés qui pourraient ouvrir mes douleurs. Qui est-elle réellement ? Que m'apprendrait-elle ? Que me veut-elle ? Pourquoi me fait-elle faire tout le contraire de ce que je voudrais ?
Je dépose ce cahier sur l'autel du suicide nocturne, ma table de cuisine, avec mon stylo, pour qu'elle m'écrive, la nuit, pour qu'elle laisse une trace visible de son existence, pour que je puisse l'affronter, pour que je puisse enfin comprendre, pour écrire à quatre mains «la plume de la nuit ».
7 mars
Peine perdue, la folle de la nuit a repoussé cahier et stylo et a été encore plus folle que d'habitude : orgie de Tonimalt mêlé à une tarte citron ! Le crime est parfait. Quelle force de frappe, j'en suis esbaubie, j'en reste coite et sans souffle. La sentir si puissante m'anéantit et déjoue mes velléités d'attaque. Je suis sonnée ! Comment raisonner cette chose inhumaine ? la torture a continué pliée en deux sur le chiotte, hallebardée en plein ventre, me vidant de toute cette horreur. Je suis terrassée, à bout de bile. Le combat va être rude... je suis si petite à côté de cette toute puissance.
24 mars
Enfin seule avec elle, l'autre folle de la nuit. En tête à tête ou en ventre à ventre... Mon fils est parti pour le week-end chez son père. Donc, je vais laisser traîner mon grimoire et ma plume sur l'autel des sacrifices, pour qu'elle me dise qui elle est, ce qu'elle a en tête et ce qu'elle veut me faire payer ?
25 mars
Raté ! Elle m'a fait faux bond cette nuit. Il faut dire qu'incidemment, je me suis remplie de quelques douceurs hier soir, en écrivant les quelques lignes ci-dessus, comme si, par ce biais, j'évitais encore cette confrontation nocturne qu'inconsciemment je dois redouter.
26 mars
La garce ! Cette fois-ci, elle me montre que le dialogue sera difficile, car elle est venue terminer la boîte de Chamonix Orange et les Pim's, se détournant du cahier, offert sur la table avec le stylo prêt à l'emploi ! J'enrage et j'ai la haine. Elle me fait perdre du temps dans mon travail sur moi, ne me restent que les rêves, mais j'en ai si peu ou bien liés à des contrariétés de la journée qui ne m'apportent rien. Flagrant manque de communication avec mon moi intérieur. Qu'est ce que ça cache ?
7 avril
Un nouveau week-end en solo, et en tête à tête avec moi-même et avec mon mauvais double de la nuit, qui s'en est donné à cœur joie toutes ces nuits dernières. Pire encore, cette autre semble m'habiter en soirée maintenant. Elle grignote mes journées maintenant. Elle est vampirique. Va-t-elle me bouffer jusqu'à plus soif, jusqu'à plus faim ?
Au plus on me dit de m'aimer, au moins j'y arrive. C'est la dégringolade, le doute installé s'ancre d'avantage, puis l'angoisse m'enveloppe même dans la journée au travail. Alors, plus que jamais, Prozac, Noctamide et Lysanxia additionnés à des overdoses de douceurs sous forme de chocolat, de biscuits trempés dans du lait frais à effets plus rapides...et apaisants. Paradoxes aussi que cette liste de médicaments de grands, en confrontation parallèle avec des aliments dignes d'un bébé...
J'ai envie de la défier, je souffre, j'ai mal, je veux la confrontation, cette nuit, je la veux, dussai-je en crever. CREVER ? crever comme un ballon de baudruche... pchitttt.... Je me vide, je couïne, je pars dans tous les sens, je tourbillonne, je tombe... tombe... tombe... à plat, raplapa, évidée,fripée, morte.
Allez, viens vers moi, cette nuit, et écris-moi qui tu es, et pourquoi tu es si présente, pourquoi tu me fais tout cela...
Ecris à l'aide d'un carreau de chocolat, à cet emplacement, telle une bravade :
« C'est moi... «
00H08 (écris normalement au stylo)
« J'aime avoir du chocolat au lait bien crémeux, bien pégueux dans la bouche. Il roule sous ma langue et entre mes gencives et mes joues. J'en tapisse mon palais et avale goulûment... la gorge me brûle... j'aspire tel le moustique ou la sangsue, le fondant chocolaté incrusté dans mes dents. Je lèche le papier alu de la tablette terminée pour ne laisser aucune miette : 200 gramme de Milka additionné à un verre de lait qui me nettoie, qui me rince dents, bouche et gosier. A quoi je pense ??? .................................... ; à rien. Je suis l'autre de la nuit vide de tout, et pleine de rien. Je n'ai aucune faculté de réflexion, d'analyse, je suis un corps vivant plein, sous une tête morte, vide.
Je suis anéantie face à sa bravade, sa provocation. Elle me nargue et me méprise. En chemise de nuit, je frissonne. Suis-je mon fantôme, inerte, vidé de son sang, glacial, morbide. Je pense à retourner très vite sous ma couette, repue, à la limite du vomissement, pleine à ras bord...
Le lendemain matin 8 avril
Ca y est ! Enfin, elle a laissé des traces et quelles traces. Je suis horrifiée. C'est pire que ce que je croyais au niveau boulimique surtout. La description faite sur l'acte primitif est très éloquent : du plaisir, du plaisir jusqu'à l'ivresse, jusqu'au malaise, même si les vocables sont puissants et manquent de sentiment, donc de vie. Apparemment, le ressenti de cet « acte réussi » semble n'être que physique a priori, puisque rien n'est dit au niveau du conscient, du réfléchi, du analysé. Je pense que la clé de la première porte se situe là... Pour le première fois, j'en suis là, toute petite Alice au pays des merveilles, devant cette porte de forteresse avec derrière, l'inconnu, vaste inconnu jusqu'à l'infini. Craintive, je veux quand même avancer, savoir ce que j'ai dans la tête, mais aussi dans le cœur à ce moment-là. J'espère cette confession, rapidement pour cheminer vers mon inconscient, cette souffrance, ma douleur.
Cette nuit, elle a enfin ouvert le contact, d'une manière si violente et si provocante, si glaciale. Nous ne sommes pas encore en phase, l'une et l'autre, mais nous nous sommes faits face, elle a dégainé la première, je n'ai pu esquiver...le coup est parti de plein fouet dans le ventre. C'est un progrès tout de même, un petit pas en avant.
La suite de ma nuit a été mouvementée, puisque torturée physiquement par des coliques et des nausées et pour cause. J'ai visité les toilettes plusieurs fois en ne me vidant que par le bas. Le haut n'a pas su faire ! J'ai mal, mais je garde tout. Je suis incapable de vomir. Je garde la nourriture ingurgitée, ma punition. Je traîne ma honte dans mon malaise. Même pas foutue d'être une vraie boulimique.
Les deux fois onze coups de vingt trois heures et un coup pour la demi-heure auxquels succèdent les deux fois douze coups de minuit martèlent chaque soir,toutes les nuits, au clocher de l'église du quartier. Il est mon compagnon de déperdition ou plutôt le témoin de mes actes délictueux nocturnes, celui qui me relie à la vie diurne, celui qui me dit que je ne rêve pas, que je suis vraiment dans le vrai quand je me livre à mes joutes nocturnes, entre moi et moi. Le « entre elle et elle » n'a pas lieu d'être avec lui, il m'implique d'office, il me met en face à face avec moi-même, avec mes deux « moi ». Terrible miroir.
A bout de force, à bout d'estomac, Morphée me prend enfin dans ses bras, m'arrache enfin aux tocsins de la nuit ...
Je tombe.. tombe... non, je vole... vole, telle une plume, légère, aérienne, telle une étoile que je rejoins au plus profond de la nuit noire, constellée de milliers de petites autres plumes... je suis moi, moi et cette autre, je suis la plume de la nuit.
Texte interrompu et donc inachevé. Une suite peut être, sans doute d'ailleurs.
04-09-2008
"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"
Style : Nouvelle | Par bolchoi | Voir tous ses textes | Visite : 1021
Coup de cœur : 13 / Technique : 10
Commentaires :
pseudo : ficelle
DU PUR GENIE, Bolchoï ! Tu sais, j'aime aussi follement le chocolat, tu sais, la Folle de la Nuit existe aussi chez moi, elle bouffe tout, et fait des mélanges improbables ! Franchement, tu m'as ravie avec tes mots écrits au chocolat et repas de bébé ! une merveille. Merci.
pseudo : bijoucontemporain
je pourrais bien devenir boulimique, moi aussi, de tes mots. Ils nourrissent violemment !
pseudo : bolchoï
Merci à vous d'avoir été touchés par ce texte, écrit, vous l'avez compris de suite, avec mes tripes et dans des moments de douleurs profondes. Les mots sont violents et forts, comme mes ressentis du moment.
pseudo : marienoelle
ce texte est poignant!!!
Nombre de visites : 21289