Le 7 décembre 2093, la sonde Anaïs VII atteint presque l'azur.
Elle fonce à pleins moteurs sur la route du cosmos.
Deux ans plus tôt, des radars ont détecté une vie extraterrestre.
Anaïs VII doit retrouver cette vie et la planète qui la porte.
Le monde entier est passionné par cette aventure.
Aux comptoirs de tous les cafés, chez tous les coiffeurs, on ne parle que de cet événement.
Le vieux rêve de l'homme, découvrir d'autres hommes, va-t-il enfin se réaliser ?
Dans les bagages du véhicule spatial, qui va représenter notre terre, on a embarqué un chapeau de la reine d'Angleterre, une recette de la soupe aux choux, la trompette de Louis Armstrong, un tableau de Modigliani, une symphonie de Beethoven, une tablette de chocolat, des œufs, des graines, une rare goutte d'eau pure et beaucoup d'autres choses dont des secrets d'État.
À terre, dans le poste de commandement, le chef de la mission est le général Kiurle assisté de trois civils : le savant Galileo, le poète Pablo et le milliardaire Adorlor.
Adorlor est l'homme le plus riche du monde, P.D-G des usines de pilules contre le mal de cœur, il finance l'entreprise.
Le savant Galileo a calculé la trajectoire du voyage.
Le poète a été choisi pour communiquer par poèmes avec les nouveaux êtres. 
Après quelques millions de kilomètres, des météores comme des dauphins filants accompagnent la petite sonde. Aux portes du grand large de l'univers, les mammifères cosmiques s'écartent en éclaboussant de milliards de diamants les hublots d'Anaïs VII.
Le véhicule céleste est maintenant seul sur les flots d'un océan d'étoiles.
L'orange bleue de la terre a totalement disparu derrière Anaïs VII.
Le soleil, à sa droite, la salue de sa main de feu.
Saturne et ses 30 lunes dansent un ballet en son honneur et la vieille pomme de Mercure lui souhaite bonne chance.
Vénus allume toutes les bougies de son hôtel particulier pour lui dire au revoir.
Sur ordre du général Kiurle, le savant Galileo augmente au maximum la vitesse de l'engin spatial.
La petite sonde, avec un pincement au cœur, quitte notre galaxie et entre dans le Grand Nuage de Magellan.
Anaïs VII plane dans un vaste désert bleu roi à l'odeur de thym.
Le véhicule céleste a l'impression de survoler la maison des anges.
Le grand silence tout autour chante comme une fauvette au printemps.
La petite sonde traverserait-elle le paradis ? 
 Soudain, une sonnerie retentit et un gros voyant rouge clignote.
La fabuleuse planète habitée n'est plus loin, à moins d'un million de kilomètres.
On devrait bientôt l'apercevoir.
Sous un nuage multicolore, elle apparaît, ronde et rose comme le visage d'un enfant nouveau-né.
Anaïs VII commence la procédure d'atterrissage. À quelques mètres du sol, le savant Galileo télécommande l'ouverture de toutes les caméras d'observation.
Les hommes du monde entier ont les yeux fixés sur leur récepteur.
On ne voit que du rose à perte de vue. Galileo se gratte la barbe. Pablo ouvre un micro et dit son plus beau poème. Du balcon de l'horizon, on voit alors s'approcher, au ralenti, deux formes étranges et lourdes. On croirait voir marcher deux rochers. De la hauteur d'un homme, les extraterrestres n'ont pas d'yeux, ni de bouche, ni de nez, ni d'oreilles ni de peau. Ils sont roses et lisses comme leur planète.

Anaïs VII se pose.

Les deux êtres, tels des papillons de nuit, se cognent contre un bras de la petite sonde. Anaïs VII, au bout d'une pince, leur tend ce qui existe de plus doux et de plus chaud sur la terre : un duvet d'oie.

 Les extraterrestres, qui n'ont pourtant pas de peau pour toucher baissent et lèvent la tête de plaisir puis vont s'asseoir au balcon de l'horizon.

Le lendemain, ils reviennent, mais, par miracle, une peau recouvre leurs corps et de véritables mains ont poussé aux bouts de leurs bras.

Anaïs VII programme la symphonie numéro 9 de Beethoven.

Les extraterrestres, qui n'ont pourtant pas d'oreilles pour entendre, baissent et lèvent la tête de plaisir,
puis vont s'asseoir au balcon de l'horizon.
Le lendemain, ils reviennent, mais, par miracle, de vraies oreilles ont grandi sur leur tête.

Anaïs VII leur montre le tableau de La fillette en bleu du peintre Modigliani.

Les extraterrestres, qui n'ont pourtant pas d'yeux pour voir, baissent et lèvent la tête de plaisir, puis vont s'asseoir au balcon de l'horizon.
Le lendemain, ils reviennent, mais, par miracle, des yeux comme des pétales se sont ouverts au milieu de leurs visages et ils ne sont plus deux mais cinq.
En une nuit, les deux êtres, devenus amoureux, ont mis au monde trois vrais enfants extraterrestres.
 Anaïs VII leur offre des graines, des œufs et une rare goutte d'eau pure.
En quelques jours, la planète rose est recouverte d'arbres majestueux, de gentilles maisons de bois, de rivières, de lacs, d'océans et de prairies où les oiseaux et les enfants sautent de joie.
A terre, Adorlor tire sur la manche du général Kiurle. Celui-ci fait alors sortir le savant et le poète du poste de contrôle, puis télécommande à la petite sonde de placer dans sa pince les secrets d'État.
Il voudrait montrer aux extraterrestres les armes puissantes que possèdent les militaires terriens. Les pauvres terriens toujours en guerre et qui achètent de plus en plus de pilules contre le mal de cœur au milliardaire. Si la guerre pouvait continuer sur toutes les planètes habitées et dans toutes les galaxies, Adorlor serait l'homme le plus riche du Grand Univers !

Le milliardaire en bave déjà d'envie.

Mais quand Anaïs VII voit arriver vers elle les nouveaux enfants, quand elle regarde cette planète merveilleuse et joyeuse, cette planète où le beau va si vite, elle décide de désobéir et de détruire avec sa pince les secrets d'État.

Puis, elle se déconnecte de la terre, s'élève de quelques mètres et, comme une enfant après l'école, s'élance dans le vaste désert bleu roi.