Il est trois heures dix.
Fouad ne dort pas. Une belle nuit lance ses rayons à travers sa fenêtre laissée ouverte. Une bise furtive embrasse son visage. Il n'avait pas senti sa présence depuis bien longtemps à cause des chaleurs estivales. Il bondit de son lit, et sort dégourdir ses pieds sur le toit de leur maison et fumer une cigarette tirée du paquet que son voisin, un MRE, lui a offert la veille.
Une lueur sombre ensevelissait la ville. On dirait qu'elle est en deuil. Partout le silence, rien ne bouge, les rues sont désertes. Une autre bise caresse ses joues, et il se sent vivant. Il ferme les yeux pour éterniser ce moment voluptueux, qui peut-être ne se répètera pas avant longtemps. C'est l'été et cette année, il fait très chaud.
Soudain, une apparition dans le ciel le tire de son extase nocturne. Un clignotement lumineux d'un avion se dirigeant vers l'Europe. Avec chaque clignement lumineux de l'appareil, ses yeux cillent et tout son être se transporte dans un voyage merveilleux.
Fouad s'imagine assis dans le siège de l'avion faisant le voyage vers le pays de l'Eldorado comme certains l'appellent. Une belle hôtesse lui sert le dîner et quelques rafraîchissements. Fatigué, il s'assoupit le long du trajet. L'avion atterrit, les passagers descendent et se présentent à la douane du pays d'accueil. - Votre passeport monsieur s'il vous plaît, demande l'agent à Fouad qui le lui tend calmement avec un large sourire.
Ce « s'il vous plaît » l'enorgueillit et se sent enfin un être à part entière, un être respecté, un être de valeur. Le fonctionnaire lui remet ses papiers et lui souhaite bon séjour. Fouad le remercie et s'engouffre dans ce nouveau monde qu'on lui a tant décrit comme étant le pays des libertés et de l'argent, le pays des chances et des occasions, le pays des droits et des valeurs.
Il se voit prendre un taxi qui le mène droit vers l'adresse de son ami Nizar qui l'avait précédé là-bas il y a cinq ans. Depuis lors, il n'est jamais revenu au bled, ni pour les vacances, ni pour assister au mariage de sa sœur ni même aux funérailles de sa mère. Celui-ci l'héberge dans sa grande maison, le nourrit et lui trouve, le lendemain, un boulot facile et bien payé. "La vie me sourit" pense Fouad.
Il s'achète une belle bagnole dernier modèle, les fringues dernier cri et noue relation avec une très belle fille canon. Cependant, il ne comprend pas d'où vient cette sensation de brûlure, une sensation amère qui lui gâche tout son plaisir. Son paradis devient peu à peu flou et l'image disparaît graduellement. La douleur devient atroce, ça brûle, la fille, la voiture, le boulot, Nizar, « s'il vous plaît », l'agent, l'hôtesse de l'air, le voyage, l'avion, tout s'évanouit et disparaît. Seule une douleur insoutenable reste.
- Aïe mes doigts, crie-t-il.
Il jette rapidement le mégot qu'il tenait. Un large sourire se dessine alors sur son visage. Il vit un moment onirique merveilleux, mais au fond de lui, il est conscient que la réalité de l'autre rive est toute autre. Un rêve reste un rêve. Il regagne sa chambre, se met au lit et s'endort. Demain, c'est une autre nuit qui l'attend.
Il est trois heures vingt.
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Style : autre | Par benaissa | Voir tous ses textes | Visite : 927
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