Inconnus, ce sont deux parfaits inconnus, qui s'aiment.
La belle affaire, comment est-ce possible, pour aimer il faut goûter son rire, toucher, sentir la peau, voir le corps bouger sous l'impulsion d'un mot qui n'arrive pas à sortir, appeler à la rescousse pour dessiner ensemble une idée, partager un banc, il faut qu'il lui recouse un bouton, qu'elle en rie tellement c'est nouveau, qu'il se découvre capable d'un petit mensonge de rien du tout qu'il va rendre vrai, ce petit mensonge qu'il sait prendre soin des autres. Il faut au moins ça pour s'aimer. Pas pour eux.
Eux s'enferment dans un secret qui devient leur nid d'amour, loin de tous les amis, personne ne sait qu'ils existent. Leurs boutons, ils les cousent eux-mêmes mais ils arrivent à se piquer à l'aiguille de l'autre, ils ne sont pas obligés de mentir et leurs projets sont déjà inscrit dans cette toile qui leur permet de naviguer au vent de leurs envies. Certains soirs, quand il lui arrive de laisser glisser ses doigts sur sa peau et d'y faire naître quelques frémissements, elle ne lui en veut même pas de ne pas être là, elle l'enserre de toutes ses forces, et il se rend bien compte que c'est plus fort. Ils redécouvrent qu'aimer, c'est d'abord se connaître. Aimer, c'est d'abord se rendre compte qu'on est pareil à tout un chacun. Aimer c'est savoir que l'on peut dompter ce monstre obscur au fond de soi, savoir que l'on peut éclairer cette part d'ombre avec les yeux de l'autre. Ils se regardent, sans pudeur, se dévoilent avec gourmandise, s'offrent totalement, se pénètrent l'un l'autre, s'acceptent, ondulent au gré de leurs caresses mentales et le fruit de leurs amours sont des mots d'une santé éclatante, rieurs, gais, promis à un avenir radieux. Ils vivent le meilleur de l'amour en sachant que le meilleur est encore à venir, en sachant aussi qu'ils ne se rencontreront jamais et qu'ils devront sans cesse réparer les dégâts de cette frustration.
Ils s'aiment comme des disparus, toujours plus proches.