Je fais le même cauchemar toutes les nuits depuis mon accident. Tous les habitants de mon immeuble sont enfermés chez eux sans pouvoir en sortir. Je n'ai aucune explication à cela. Mais toutes les nuits cette terrible absurdité me submerge. Aucun de mes voisins n'a la moindre idée de ce qu'il se passe. A peine pouvons-nous remarquer que nous sommes encerclés par des centaines de personnes toutes vêtues entièrement par de longs manteaux à la couleur noire la plus impénétrable imaginable. Sont-ils vraiment là pour nous protéger ? Ils n’ont de cesse d’apparaître puis de se dissimuler à nouveau dans l’ombre. 

     Quelques jours auparavant un évènement fort étrange s'est produit. Les journaux locaux l’ont relaté en première page : les crapauds et les grenouilles enflaient puis explosaient sans aucune explication ni cause apparente. De nombreuses personnes ont été blessées par des jets d’urine à haute teneur corrosive. Il y eut à déplorer de graves brûlures au visage et des pertes de la vue irréversible. Je m’étais demandé s’il s’agissait d’un canular, d’une attaque nucléaire ou encore de la fin du monde…

     Il y a beaucoup de gens sur leur balcon, et d’autres sont accrochés à la façade de l’immeuble. Je n’ai, encore une fois, aucune explication pour ce détail de mon récit. Nous ressentons tous la peur de tomber. En voyant les agissements sournois de ces hommes en noir, nous nous demandons si nous ne serions pas contagieux de quelque chose. C’est alors que mon portable se met à sonner…

     Des signes étranges apparaissent sur l’écran. Je me dis que le fonctionnement doit en être perturbé. Par acquit de conscience je vérifie la radio, puis l’écran plat. Aucune onde ne passe, aucune chaîne de télévision n’émet. Je retourne alors sur mon balcon, sans doute pour me rassurer de voir les autres faire la même chose.

     Une petite fille, se penchant sur la balustrade de son balcon, à l’étage en-dessous du mien, me demande de lui lancer mon portable pour que son frère informaticien puisse y jeter un œil, afin de téléphoner et de comprendre ce qui est en train de nous arriver.

     Le cousin de mon mari, sur le balcon, regarde au loin en direction de l’horizon. Je sens qu’il va tomber. L’instant d’après une partie du balcon se fêle sous ses pieds. Je le rattrape in extremis par la main mais il continue de glisser. Lorsque je lâche prise il chute de plusieurs mètres avant que son blouson ne s’accroche à quelque chose dépassant de l’immeuble. Je ne sais pas ce que c’est. Je ne l’ai jamais su.

     Cette scène se répète chaque nuit. Chaque nuit je cherche un moyen différent de le sauver. Je sens au fond de moi qu’il ne s’agit pas seulement d’un rêve. Il a besoin de moi toutes les nuits. C’est une épreuve. J’ai besoin de plus de temps. Encore plus de sommeil. Les drogues sont efficaces mais ils m’ont fait un lavage d’estomac et mis en cure de désintox.

     Les fous ! Je dois lui sauver la vie et je vais mettre un terme à la mienne. J’aurai ainsi tout le temps nécessaire. M’enfermer dans cette pièce capitonnée et me sangler à mon lit avec une camisole de force ne m’arrêtera pas. Ma volonté est plus forte, docteur. Ma volonté est bien au-dessus de votre esprit et de votre chair. Je peux m’éteindre quand je le désire, à présent. Je peux…





     A partir de cet instant, et ce depuis deux années maintenant, la patiente numéro deux cent trente trois ne présente plus aucun signe extérieur nous permettant de penser qu’elle nous sent, entend, voit et désire communiquer. Son regard reste plongé quelque part derrière les murs de sa cellule, et si nous ne la nourrissions par I.V., elle mourrait.

     Je suis incapable, en ma qualité de professionnel, de la diagnostiquer avec exactitude. Je puis néanmoins affirmer qu’il s’agit de la forme la plus extrême de catatonie qu’il m’ait été donné d’observer. Quant à savoir si elle l’a provoquée…
     Quoi qu’il en soit, où qu’elle soit à présent, elle n’est plus dans ce corps.




                                                                     Dr Semaj DNALREDNUS