Laisser couler ses mots au bout des doigts… des mots collectés par envie dans un labyrinthe de matière grise, sur des étagères mal garnies ou pas équilibrées ou qui croulent sous l’abondance de bonnes et belles choses. Dans un coin, Narcisse prend une place énorme et s’étend, impérialiste. Il peut prendre la place de l’orthographe ou pire de la logique ou, meurtrier, celle du dictionnaire. De temps en temps, la modestie distille ses champignons si particuliers dans les rayons que l’on croyait inaccessibles. Ils sont curieux ces champignons, à faible dose ils donnent un goût inimitable et profond à l’assemblage, mais si l’on en met trop, ils pourrissent le ragoût et deviennent toxiques. Ce panier de mots toujours trop chargé subit quelques contrôles : la mémoire qui empêche certains mots de s’accoupler parce qu’ils sont trop violents à relire ou au contraire qui ignore la douceur de certaines choses maintenant trop lointaines, le goût aussi empêche les alliances contre nature pour certains ou les favorise pour d’autres, la forme du panier également stimule le chargement de certaines phrases et gêne celui de telle autre.

Et ces mots se déversent dans un corps unique pour finir au bout des doigts. Le corps a sa propre mémoire de la violence qu’il a endurée et de la chaleur qui l’a épanoui. Il arrive qu’au dernier moment un doigt vigilant se dérobe et transforme un mot, voire un sens pour exprimer autre chose que le cours normal de la littérature, il arrive que ce corps rajoute des ingrédients nouveaux, que le cœur filtre ces mots insensibles ou trop douloureux.

Il arrive aussi qu’il ne se passe rien et que les mots coulent entre les touches du clavier. Reste alors l’envie qui recommence à collecter quelques cris étouffés