J’étais au bar du petit bistrot de mon quartier. Je tapotais mes doigts sur la table pour me faire une musique à ma patience. J’avais toujours quelque part dans ma tête le désir d’en fabriquer. Ça m’aurait fait du bien de faire pleurer un piano. J’avais le phantasme de la juxtaposition des mains.
A coté de moi y avait une pochtronne qui me parlait de sa fille… Comme quoi qu’elle avait 12 ans. Comme quoi qu’elle arrivait pas à la nourrir. Qu’est-ce que j’en avais à foutre de sa fille, moi ? Dans 10 ans cette petite garce sucera des bites comme sa mère. Et si elle se laisse bourrer l’cul elle trouvera bien un crétin pour la nourrir. C’est qu’une question de temps, qu’elle s’inquiète pas la mère ! Quand j’ai fini mon verre j’ai dit au revoir à la dame en lui souhaitant bon courage et j’ai repris ma route.
L’horreur des promenades c’est les gueules qu’on croise mais ce serrait pire si on voyait la notre. Comment qu’on se sentirait merdeux si on pouvait se regarder de biais. Comment qu’on se ferrait horreur en se voyant dans nos habitudes, nos p’tites joies et nos malheurs. Comment qu’on se penserait dégueulasse en voyant la merde qu’on a entre les dents à force de parler pour rien dire. J’ai remonté le boulevard jusqu’au stade. Là-bas, je me suis assis au bord du terrain, j'suis resté là un bon moment, seul à z'yeuter mes baskets troués en me disant "acceptes d'être une merde". L’heure se faisait tardive, plus rien ne pouvait sauver cette journée, alors j’ai fait le chemin retour. C’est là que j’ai croisé la fille de l’autre jour. On s’est partagé le restant de cette ballade. Fallait les savourer ces premières ballades, bientôt, en se répétant, elles nous mèneront à notre perte, encore deux, trois et, elle et moi, en sauront assez l’un sur l’autre pour se détester. Ne restera que le souvenir et tant mieux, c’est la pulpe de notre existence, c’est avec ça qu’on se fabrique sa haine. On s’est séparé au dernier arbre de l’allée, on s’est souhaité de bonnes choses avec le sourire et puis tout ça. Je me suis dis que je l’aurai peut-être aimé dans une autre vie, dans un autre état…
Le soir j’étais seul chez moi. Et le problème quand on est seul, c’est que la rancœur n’a plus de cibles sur lesquelles s’écraser, elle fait demi-tour, elle se retourne contre son maître. Ah espace… Je t’ai définitivement perdu et je rentre une fois de plus en moi-même, histoire de me trouver un chagrin pour la nuit. Demain… ça ira… On recommencera la tache ingrate de la survie. Il faudra bien se vêtir pour ne pas avoir trop froid et puis manger un peu pour ne pas avoir l’air trop pâle afin de se faire quelques souvenirs de plus, afin de prolonger cette infini festin du dégout.
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Style : Pensée | Par thegreenmonkey | Voir tous ses textes | Visite : 1050
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pseudo : Mysandre
Respect. C'est le contraire de fade et insipide. Il y a quelque chose d'éloquent dans le fond et de dégueulasse/provocant dans la forme qui ne laisse pas indifférent. C'est très noir aussi. J'aime
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