Plus exactement, j’existe un peu moins. Il y a quelque temps encore j’aurais réagi violemment à cette assertion idiote, fier de l’importance première de ce que j’ai à dire, à sentir, à entendre, à aimer et j’aurais démontré avec brio comment chaque geste, chaque pensée, chaque regard se nourrit de l’ensemble des forces vives du monde et comment chacun de nous en est le dépositaire.
Mais voilà, depuis, j’ai accompagné mon amoureuse sous terre et je lui tiens un peu compagnie. Cela ne m’attriste pas, au contraire, je mets entre parenthèses ce besoin de m’agiter pour montrer que je vis, d’écrire pour montrer que je pense et de rire pour exprimer ma joie et je touche du doigt quelque chose que je cherche depuis longtemps, depuis si longtemps... Vivre, c’est mourir un peu et mourir, c’est vivre un peu.
Je sais depuis longtemps que la mort est une transformation de la matière vivante, je dis bien matière, je sais aussi que des objets inertes (les livres par exemple ou des bijoux ou des instruments de musique) sont pleins de vie et l’expérience que je fais de sentir la mort vivre et la vie mourir est une explosion sentimentale, un dialogue nouveau entre deux vies, ou entre deux morts. C’est un échange sincère entre ce que je croyais et la réalité, une captation d’un savoir indicible, un peu de sérénité qui colore mes envies, un peu d’humilité qui fortifie mes projets.
Bien sûr, il me manque cette sensation si douce de son oreille glissant le long de ma bouche ou de son front se plissant contre le mien, ou plus impalpable de ses yeux plongeant au fond de mon cœur, évidemment elle ne me confiera plus ses faiblesses ou ses exigences, certes elle ne se régalera plus des gougères au fromage sortant du four ou, quelle gourmande, de la pâte encore crue qui devait en devenir… Mais ce ne sont que des souvenirs et ils vont s’estomper, doucement.
Ce qui me reste d’elle est beaucoup plus important que ces plaisirs éphémères, les questions auxquelles elle n’a pas réussi à répondre, l’expression de sa souffrance tout au long de sa maladie et qui changeait de siège, un temps psychologique, plus tard physique, l’acceptation de sa mort, la conscience de sa qualité d’être humain qui échappe si facilement au quotidien. Il me reste sa force amoureuse qui me réveille avec le soleil, et le temps qu’elle me confie pour que je me rapproche d’elle. Pas en mourant doucement mais en vivant intensément comme on a essayé de le faire, en aimant indéfiniment.
Il y a un peu de mort dans ma vie, juste ce qu’il faut pour exprimer mon amour du temps qui passe. J’existe peut-être un peu plus, finalement
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Style : autre | Par obsidienne | Voir tous ses textes | Visite : 835
Coup de cœur : 15 / Technique : 10
Commentaires :
pseudo : Blanche Plume
Ravi de te revoir et de pouvoir lire OBSIDIENNE, un peu dans son coeur, un peu dans sa tête, un peu dans son monde... Je connais un peu moi-même les chemins de cet endroit que l'on ne saurait nommer, cet état où l'on se sent un peu chez soi bien qu'un peu étranger. J'aime le tableau que tu viens de peindre. A bientôt.
pseudo : dees_d_amoure
gardes espoir ........CDC
pseudo : néna...
CDC, j'aime être imprégnée par ta prose...merci
pseudo : cha
Très touchant, ça me rappel des souvenirs... Ce n'est jamais simple. Coup de coeur pour toi
pseudo : damona morrigan
Lorsque l'on a marché aux côtés de dame "mort" l'on court avec dame "vie" puis l'on s'arrête avec la certitude que dame "mort" nous a fait le plus cadeau de la vie ! Ton texte m'a beaucoup émue et touchée, merci du partage et Immense CDC à toi
pseudo : w
Un texte poignant où l'amour et la mort se fiancent dans la plénitude de l'infini. Garde confiance au possible et esquisse un léger sourire envers l'avenir...
pseudo : ifrit
Je me rappelle votre tout premier commentaire à mon égard, et à présent, c'est mon tour de vous l'offrir. Voilà quelqu'un qui vit, c'est rassurant !
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