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La détresse d’une Perse (première partie) par w

La détresse d’une Perse (première partie)

 

       L’aurore dispensait son rougeoiement intense sur toute la chaîne montagneuse de l’Alborz, tandis qu’une fine pluie fardait le paysage d’une poudre mélancolique. Tout au Sud, le mont Damavand jetait une ombre menaçante sur Téhéran dont les fenêtres de chaque demeure s’illuminaient progressivement. Dans un ronronnement usé, une télécabine verte et blanche se laissait baigner dans l’océan incandescent du soleil tout en descendant du mont Tochal en direction de la porte Nord de la ville. On eût cru à la chute d’un ange vers les enfers. L’enfer existait bien, là-bas, loin des secteurs cossus du Nord où se nichaient les ambassades étrangères, les anciens palais du Shah et toutes les résidences de la bourgeoisie rayonnante ; là-bas, tout au Sud, noyés sous la chaleur du désert, se trouvaient les quartiers populaires qui avaient planté leurs racines dans un mélange de sable stérile et de gravillons aux arêtes acérées. Elle vivait là.

       Parisa se passa son gant de toilette sur le visage tout en jetant un regard désillusionné sur la chambre à coucher où ronflait son mari. Il l’avait montée une partie de la nuit et elle se sentait plus sale que jamais. Elle eut beau s’asperger d’eau durant plusieurs minutes, jamais elle ne pourrait ôter la souillure qu’elle portait sur elle, qu’elle portait en elle. Elle dont les poches sous les yeux et les rides sur le front symbolisaient ce temps qui passe dans la langueur des jours sans joie. Elle qui vivait sans vivre dans le dédale lugubre des espoirs perdus. Elle, Elle se mit à pleurer.

      Parisa descendit les escaliers dont le béton mis à nu jetait une grisaille maladive sur ses yeux. Elle pénétra dans la cuisine et commença à préparer le petit-déjeuner dans un silence de tombe qui la fit plonger au plus profond de sa psyché. Elle se mit à songer à la vacuité des jours, tout les mêmes, durant lesquels elle remplissait son rôle d’épouse docile et courageuse. Toutes ses heures qui s’enfilaient les unes aux autres afin de former une chaîne métallique rouillée, la chaîne qui maintenait entravée l’esclave qu’elle était devenue. Faire le ménage tous les matins à s’user le corps, un corps qu’elle avait pourtant si gracieux dans sa prime jeunesse. Préparer tous ces repas soignés durant un temps infini parce que Lui, parce que Monsieur, parce que Maître voulait le nec plus ultra pour lui-même… et avec si peu d’argent pour acheter les ingrédients. Acheter… sortir. Elle ne pouvait s’extraire de sa tombe maritale que pour faire les courses, jamais pour s’amuser, jamais pour aller au cinéma ou au musée, jamais pour discuter avec des amies, jamais… Non, juste pour le marché. Un marché qu’elle devait faire voilée de la tête au pied, dans une étoffe d’un noir étouffant, de peur qu’un Gardien de la Révolution ne soit choqué à la vue de la soie de ses cheveux longs, de la pâleur de ses yeux, du carmin osé de ses lèvres charnues. Ce voile et sa vie… Un cercueil d’étoffe dans une tombe de béton.

       Elle entendit un craquement au premier étage. Monsieur venait de se lever. Comme toujours, alors qu’il prenait sa douche, elle s’empressa de grimper les marches afin d’éveiller ses quatre enfants. Il y avait ses jumeaux : Jamshad et Jamshed, sa fille : Ava − l’aînée, et son petit dernier qu’elle avait porté et fait naître dans la souffrance : Nasim. Ce dernier ne cessait de faire des caprices et pleurait sans cesse pour réclamer quoi que ce soit. Et plus il pleurait, plus Monsieur gueulait et plus il pleurait et ainsi de suite jusqu’à ce que Parisa ne fut plus qu’un fleuve de tourments. En caressant le visage d’Ava afin qu’elle s’éveillât, elle se mit à penser à la vie future que sa fille aurait, elle qui était déjà une adolescente. Elle pensa qu’elle aussi vivrait l’enfer d’être une femme dans un monde d’hommes. Ava, Eve nouvelle serait, mais une Eve de larmes et de sang sur l’étendue hostile d’une Iran virile. Parisa se dit que son enfance avait été insouciance tandis que sa vie d’adulte fut tumulte, le tumulte des reproches, brimades et coups qu’elle recevait sans cesse de la part de la gente masculine. Alors qu’Ava ouvrait les yeux, ceux de Parisa se couvrirent de larmes, flot interrompu de souffrances pour l’être qui a eu le malheur de naître femme. De n’être que femme.

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Style : Nouvelle | Par w | Voir tous ses textes | Visite : 445

Coup de cœur : 14 / Technique : 10

Commentaires :

pseudo : carine

Il faut espèrer que les femmes de ce pays, finiront un jour par trouver une vraie place, une véritable identité.

pseudo : w

Je l'espère de tout mon coeur. Le jour viendra où les femmes retrouveront leur dignité et sauront se hisser au sommet.