Je connais la froideur redoutable de la peau devenue pierre sous l’envers des doigts incrédules, je connais son masque figé qui prend l’apparence d’une femme aimée, je connais ces tressaillements langoureux qui sont l’écho d’un dernier geste qui ne peut plus s’afficher, je connais cette odeur âcre qui dessine l’intérieur des entrailles en un souffle impudique et horrible, je connais son bras qui s’agrippe désespérément pour mieux entendre et dire les derniers mots déjà devenus des traits d’union, je connais son sourire qui est à peine un pastel de la joie de vivre habituelle. Je connais sa supplique pour sortir de la chambre d’hôpital et aller entendre une dernière fois un oiseau chanter, une voiture vrombir, un arbre montrer la demeure prochaine de ses racines placides.

Je connais cette gêne de ne plus être autonome, brusquement, de ne plus être continente, brusquement, de ne plus pouvoir s’endormir ni même se coucher, l’angoisse impossible de se poser la question de savoir si on veut rester debout, la vague noire qui barricade les plus jolies maisons où les écrits maculent de noir les murs rieurs. Je connais tout de la mort, les dérèglements sentimentaux qui détruisent les belles histoires, les jolis mots échangés en attendant un avenir incertain, les verts profonds du jardin qu’on regardera tout seul, plus tard, ces moments magiques qui s’inscrivent dans l’instant qui passe, les étreintes fusionnelles contre lesquelles on se défend de plus en plus mollement, le choc de tes grands yeux pourvoyeurs d’amour, ton pas léger sur le gravier de la terrasse d’un bistrot de province.

Je connais tout de la mort, jusqu’à ton premier sourire qui m’avait chaviré ; souviens-toi tu m’avais dit gravement et tranquillement à la fois «  j’ai un cancer », j’avais répondu « nous sommes vivant, non ? »