Un matin, aussi terne que la glaise qui s’ennuie au fond d’un four, plus lourd que ce métal qui plombe les quilles des bateaux transatlantiques, je marchais comme une locomotive qui a peur de sortir de ses rails.

Un matin habituel, inodore et dépourvu de ces étincelles qui jaillissent des arcs électriques.

Un matin ordinaire qui convenait bien à ma personnalité.

Et puis le hasard…

Au loin j’aperçus comme une silhouette féminine et dans ma tête commença la valse des mots magiques et des phrases puériles qui nous font espérer.

Et je me dis :

- si je vois une voiture rouge, cette fille est très belle.

- si un oiseau se pose sur un fil électrique, la fille va me regarder.

- si la boulangerie qui ferme le lundi est ouverte ce lundi, la fille va me sourire.

- s’il est 7h23 à ma montre, la fille trouvera un prétexte pour me contacter.

Ces phrases ont, un instant, fait vibrer quelques connexions dans mon cerveau, histoire de remplir un vide.

La fille se rapprochait de moi et alors :

- une voiture rouge faillit me renverser,

- un oiseau, après quelques hésitations aviaires, se posa sur un fil électrique,

- la boulangerie était ouverte pour compenser la fermeture du lendemain, mardi 1^er mai,

- ma montre indiquait exactement 7h23, lorsque mon regard se posa sur son cadran.

J’eus soudain l’impression que le destin avait décidé de dynamiter ma vie.

Elle était là, à trois mètres de moi…