Sans elle, les jours s’écoulaient moins vite que l’eau dans une cafetière entartée.

Parfois, à ses yeux, le soleil semblait s’aplatir comme une crêpe sans sucre : c’était sa vie sans elle.

Quand il oubliait son absence, comme le grand malade oublie sa maladie, elle lui revenait bien vite dans la tête, ressort tendu qui se rabougrit brutalement.

Elle lui manquait tellement, que ses idées, quand arrivait l’incertitude de la nuit, prenaient cette couleur de l’eau qui étouffe dans les égouts.

 La musique, sa musique, semblait des poings tendus qui sortaient des enceintes.

Il n’osait plus regarder celles qui marchaient dans la rue. La peur de la reconnaître au bras de son amant semblait plus grande que celle qui avait étreint les pauvres malheureux qui avaient vu tomber la bombe d’Hiroshima.

Parfois, les indiens Sioux dansaient dans sa tête. Il ignorait si c’était la danse de la pluie ou celle de la faim.

Elle n’était plus là et chez lui, ses poumons semblaient jouer un air  du Vaisseau Fantôme.

Sa nuit, c’était l’épouvante, la terreur noire des pestiférés attendant le chariot des condamnés.

Alors, pour ne pas sombrer dans la mer tourmentée, il débouchait le flacon. Là où son parfum reposait depuis longtemps. Il inspirait bien vite quelques effluves et refermait aussitôt la bouteille pour préserver les vingt gouttes qui restaient, qui devaient le ranimer au moins pendant dix ans.

C’était sa vie sans elle.