Chacun par michelconrad
Chacun
Chacun a un rapport particulier avec la destruction. Dans mon adolescence, mon père me surprend, un soir, en train de lire les Derniers poèmes d'amour d'Eluard (éditions Seghers), au lieu de réviser ma leçon d'Histoire-Géographie, pour le Lycée. Il jette le livre dans le poêle à charbon, où je le vois, à mon grand désespoir, se consumer.
Longtemps, j'ai ressassé cette scène, alimentant, à travers elle, une sorte de haine à l'égard de mon père. Ce matin, pour la première fois, quinze ans après sa mort, j'y pense, apaisé.
L'ancien apprenti-horticulteur, l'ancien ouvrier de scierie, de fonderie, que mon père avait été, l'épicier de village qu'il était devenu, voyait dans l'école de la République la haute porte de sortie pour ses enfants, l'unique accès à l'élévation sociale : un demi-siècle plus tard, je pardonne à mon père ce geste déraisonnable, mais que, désormais, je comprends.
H./Ven/10/9/10/7H35
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Style : Poème | Par michelconrad | Voir tous ses textes | Visite : 439
Coup de cœur : 19 / Technique : 14
Commentaires :
pseudo : damona morrigan
Cette scène me rapelle mes propres souvenirs... Mes parents me disaient "tu es fille d'ouvriers et tu le resteras". C'est vrai. Je suis entrée dans l'école de la vie et je n'ai toujours pas perdue la soif d'apprendre ! Merci beaucoup à vous.
pseudo : Eugénie
On comprend souvent très tard le bien que nous voulaient nos parents, parce qu'il correspond rarement à nos aspirations... Merci pour ce texte émouvant.
pseudo : Karoloth
Des pères font endurer des épreuves plus pénibles à leurs enfants, mais à chacun sa sensibilité.
pseudo : ifrit
Karoloth l'a bien résumé : à chacun sa sensibilité. Heureux que vous ayez pu monter cette échelle sociale, d'une belle manière qui plus est.
pseudo : alnilam
Il y a aussi une notion qui existe dans toutes les cultures, et qui n'est pas l'apanage des religions, c'est la notion de pardon. Le pardon ne nécessite pas de comprendre le geste qui nous a fait du mal.on peut gagner du temps. On a tous des blessures qui traînent à se refermer.
