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En-dedans par w

En-dedans

 

        Rien. Pourtant je pense. Des images éclatantes surgissent dans les ténèbres.

        Le temps est un fleuve dont l’eau vive parcourt les rives de ma vie. Les fragrances de jadis me reviennent comme autant d’embrun sur mon visage souriant.

       J’avais été un enfant solitaire, sans frère ni sœur, qui ne cessait de rire sous l’ombre protectrice de mes parents. Ils m’aimaient plus que tout au monde, plus qu’eux-mêmes. Je m’étais crée un univers onirique fait de peluche et de bois avec mes jouets que je manipulais à grands gestes dans ma petite chambre à coucher. Chaque œil qui pétillait m’était une étoile d’amitié, et je disposais d’un firmament infini dans la cour d’école. Les mots que je traçais sur mon cahier ressemblaient à des vagues immenses qui m’emportaient loin par delà les frontières de la réalité. Et c’étaient ces mêmes mots qui, le soir venu, m’enveloppaient d’un drap brodé d’or lorsque ma mère me lisait un conte, là, assise tout contre moi, sous la veilleuse qui berçait mes paupières mi-closes. Ma vie m’était nectar.

        C’est étrange. J’ai l’impression de flotter. Qui suis-je ? Je me souviens de moi difficilement, comme si chacune de mes pensées s’enfonce dans les vapeurs opaques d’un brouillard éternel. Je m’appelle José… j’ai trente-deux ans. Qu’en est-il de moi ? J’éprouve un sentiment mystérieux, celui d’être porté par une brise au lointain, comme si je m’enfonçais lentement dans l’horizon crépusculaire. Je ne comprends pas.

        Le passé laisse un sillage profond telles mes traces de pas sur le sable. Ma mémoire se ravive et chaque image qui s’impose en moi m’insuffle un lest de vie supplémentaire.

       Mon adolescence, comme celle de bien d’autres garçons, se révéla tardive et difficilement gérable. Je refusais toute forme d’autorité, mais me réfugiais dans les bras de mes parents au moindre tourment. Je m’interrogeais sur le pourquoi et le devenir de mon existence sans trouver la moindre réponse sinon celle de l’hystérie. Et je finis par tomber amoureux, d’une belle blonde, d’une jolie rousse, d’une magnifique brune, changeant de passions comme on change de chemises. Mais chaque battement de cœur dû à une jeune femme me donnait l’énergie d’avancer dans le dédale clair-obscur de mon destin. La vie ne vaut d’être vécue sans amour.

       Suis-je mort ? Si je l’étais, comment se ferait-il que je puisse encore penser ? A moins que je ne sois devenu un esprit. Mais, alors, où est Dieu ? où est le diable ? où sont les autres ? C’est curieux… J’entends un battement au creux de moi. Qu’est-ce ? Seigneur ! C’est mon cœur. Et je ressens la froideur tout autour de moi, ainsi que de l’humidité. Serais-je en vie ? …Oui, j’y arrive : je peux bouger mes doigts. Ils semblent pourtant rigides comme du marbre. Je ressens une pression sur mon dos : je suis allongé sur une surface dure et plate. C’est certain, je vis !

       Chaque instant vécu est un chaînon supplémentaire accroché à la chaîne de mon existence. Malgré le néant, les souvenirs perdurent éternellement dans la mémoire des êtres que j’ai aimés.

       Les heures d’une journée n’étaient pas suffisantes pour que je pusse réaliser tout ce que j’avais à faire. J’avais intégré une multinationale dans le secteur de l’agroalimentaire et avais grimpé les échelons rapidement. Au final, je dirigeais une équipe de management et, entre d’innombrables réunions d’affaires, je passais mon temps entre les cuisses de chacune de mes secrétaires dont je me passais des services dès que je me lassais d’elle. Et une autre. Et encore une autre. Pourtant, j’étais marié. J’avais deux enfants, une fille et un garçon. Je les aimais tous les trois. Ma femme était adorable, dotée d’une tolérance et d’une compréhension incomparable. Je l’adorais. Comme il est curieux qu’on ne se rende compte de l’amour véritable qu’on éprouve envers une femme que lorsqu’on est entre les bras d’une autre… J’avais une vie professionnelle et privée fantastique. J’avais… J’étais…

       Tiens ? Bizarre. J’utilise l’imparfait. Pourtant c’est ma vie actuelle. A moins que…

        Que fais-je donc ici ? Où suis-je ? A présent que je puis à nouveau bouger les bras et les jambes, je me rends compte que mon corps est confiné dans un espace clairement défini. Des lignes rectangulaires. Une surface lisse. Un volume extrêmement étroit.

       Je me souviens distinctement que je faisais mon jogging dans le parc. La température était si élevée. La sueur. Le rythme cardiaque qui s’accentue. Une vive douleur à la poitrine. L’herbe fraîche. Puis le noir total.

       Alors qu’en-dedans de moi s’agitent mes souvenirs, mes mouvements, quant à eux, sont restreints au maximum. Je suis prisonnier. Mais de qui ? Mais de quoi ? … On dirait des planches. Et puis, Il y a cette humidité qui s’infiltre partout et cette odeur de terre. … Mon Dieu ! Ils m’ont enterré… ils m’ont enterré vivant ! … Mes ongles ne peuvent traverser cette épaisseur de bois ; mes cris ne peuvent être entendus six pieds plus haut. … Je veux vivre ! Je donnerai tout ce que j’ai pour un instant de plus. Mais je dois sortir d’ici.

       « Sortez-moi de là. »

       « Sortez-moi de là ! »

       « Sortez-moi de là… »

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Coup de cœur : 13 / Technique : 9

Commentaires :

pseudo : damona morrigan

Très bien mené ! Heureusement que de nos jours il faut respecter un délai minimum de 3 jours avant l'enterrement. Surtout dans les cas de mort clinique, cela s'avère primordial. Enorme CDC for you!

pseudo : féfée

Y a pas pire cauchemar, je crois ! CDC

pseudo : w

Justement je me posais la question au niveau du temps séparant le moment de la mort à celui de l'enterrement. Je n'ai même plus à posé de questions, puisque tu y réponds instantanément. Tu ne serais pas télépathe damona ? :-) Merci à vous deux damona et féfée.