Seul, les genoux à terre, les pieds écorchés par des galets effilés, je regarde d’un œil hagard l’étendue sauvage devant moi qui se rebelle en une violence exacerbée.

       Jamais le ciel n’a été aussi noir, un noir de jais sans aucune étoile pour raviver l’infime et infirme lueur de l’espoir. Des nuages lourds se répandent sur la voûte céleste en une multitude de volutes grossières qui exhalent l’odeur putride des nuits sans lendemain. Nulle lune pour apaiser mes craintes, mais des éclairs qui sabrent le ciel et le font saigner d’un sang électrique. Les ténèbres du firmament reflètent amèrement mes tourments abyssaux.

       En contrebas, c’est le chaos. Un galion à la poupe à moitié engloutie et à la tête de proue représentant une tête de mort s’enfonce dans l’horizon en arborant comme un trophée ses voiles déchiquetées battues par un vent à la puissance destructrice. Les vagues se font lames tranchantes et dépècent  le navire de ses oripeaux de bois tendre. La surface de l’eau n’est plus qu’agitation frénétique, anarchie apocalyptique.

       Tout près de moi claquent les vagues qui s’entrechoquent en un ressac diabolique. Je me relève et tourne sur moi-même comme si je dansais une valse funèbre. Tout autour de moi ne subsiste de la vie que l’immensité du vide, le silence des profondeurs et la poussière du passé. Rien, sinon le mirage de l’existence qui s’estompe en des couleurs mates et illusoires.

       Voilà tout ? Est-ce ainsi que le verbe « être » rime avec « disparaître » ?

       Alors que des larmes chaudes coulent sur mes joues j’entrevois tout à coup comme une éclaircie dans l’opacité des cieux. C’est une lumière blanche, une blancheur telle celle de l’opale exposée sous un soleil éclatant. L’encre de Chine qui me surplombe s’étiole peu à peu et se dessine sous mes yeux attendris la toile épurée et pure d’un nouveau jour.

      Parsemé de quelques moutons surréalistes, l’azur se pavane au-dessus de moi en présentant l’astre solaire comme un talisman rutilant. C’est une magie onirique qui se fait pourtant réalité, un espoir improbable qui surgit de l’abîme de mon désespoir.

       C’est à cet instant que sur un tapis de sable jaunâtre naît sous mes yeux une verdoyance rare qui parsème en peu de temps toute l’étendue de mon champ de vision. Ci et là, comme des rayons de lumière, apparaissent puis croissent des tiges fines et longues qui, en une poignée de secondes, me laissent voir des bourgeons gonflés. Soudain, dans la mélopée d’une brise qui me caresse tendrement le visage, s’ouvrent à la vie des fleurs magnifiques : des lilas à la chatoyance ravivée, des lys à la nitescence de l’aurore, des bleuets desquels émane le bonheur, des roses rares à la senteur enivrante, tout un parterre de joyaux vivants, vibrants et multicolores.

      J’avance sur le massif arc-en-ciel et mes pieds me font ressentir la douceur  du désir retrouvé. Je marche, encore et encore, et arpente un vieux sentier de terre rouge. Des papillons tourbillonnent tout autour de moi telle une toupie à la vitesse vertigineuse. Je gravis une butte recouverte d’herbes éclatantes et parviens à son sommet. C’est alors que je vois se peindre sous mes yeux, là-bas, dans l’horizon, une vaste cité de lumières. Encore quelques pas. Et j’y serai.

       L’espoir est un lendemain en devenir. La vie vaut d’être vécue…