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Soeur Angèle (première partie) par w

Soeur Angèle (première partie)

 

       L’aurore était en train d’étendre sa robe éclatante sur le paysage vendéen et, à travers les vitraux centenaires, un arc-en-ciel de lumières chatoyantes caressait la nef de l’église. Les cloches venaient de sonner la Prime, la première prière du jour, mais cela faisait longtemps que j’étais là. Seul, tout seul, depuis une éternité, en génuflexion, les paumes des mains serrées l’une contre l’autre. Je priais.

       Bientôt, dans le vacarme habituel aux ouailles s’apprêtant à demander pardon pour leurs péchés, tous les élèves du pensionnat se rueraient sur les bancs tels des moutons se jetant en masse du haut d’une falaise. Je n’étais pas comme eux. Je regardais le Christ de souffrance sur sa croix, ce corps martyrisé, cette âme brisée, sans lui avouer la moindre faute. Je ne faisais qu’espérer en un soupir profond.

     L’autel était d’une blancheur opaline, mais au tréfonds de mes pensées dansait un rouge intense. Elle était là virtuellement, à quelques mètres de moi, me tournant le dos, les bras en croix. Un brasier sensitif. Elle, sœur Angèle, la nouvelle venue au pensionnat, tout juste rentrée dans les ordres. Une onde de chaleur indescriptible. Dès la première seconde où je la vis, je compris que ma vie n’avait pas eu le moindre sens avant elle ; elle, sœur Angèle, au visage innocent, aux yeux de chat, au galbe étourdissant, m’avait envouté comme jamais une femme ne l’avait fait auparavant. J’imaginai soudain qu’elle retirait sa coiffe et, dénouant un chignon austère, laissait virevolter la cascade incendiaire de ses longs cheveux à la rousseur vive. J’avais les mains moites.

       Les battants de la porte haute s’écartèrent. Une nuée de collégiens à la tenue impeccable et réglementaire déferlèrent dans l’église. Sœur Angèle disparut de ma vue. Je n’eux plus qu’à me relever et à laisser la vague de pénitents m’emporter vers le rivage amer des pieuses pensées.

 

       Les heures s’étaient égrenées dans le flot assourdissant des paroles prononcées par les bigotes qui martelaient leur doctrine sur la soie délicate de mon ignorance. Là, au fond de la classe, emmitouflé dans la chaleur du radiateur, je regardais le paysage printanier à travers les carreaux fêlés.

      Les cloches annoncèrent en un tumulte angoissant le moment de la Tierce. Il était neuf heures. Les autres élèves et moi-même allâmes à nouveau dans l’église et nous agenouillâmes avant de saisir notre bréviaire et de chanter un cantique. Les sons s’extrayaient de ma voix sans qu’ils eussent la moindre signification pour moi. Plongé dans la torpeur que me causaient toujours les mélopées religieuses, mes pensées se fondirent dans le clair-obscur environnant.

      Elle réapparut comme par enchantement, au beau milieu du chœur, alors qu’en chœur les élèves psalmodiaient les vers liturgiques. Je la vis relever ses manches et le bas de son scapulaire. Toujours le dos tourné, elle me révéla ses bras et ses jambes à la roseur enchanteresse du ciste. Quelque chose se mit à bouillir en moi, comme le flux incontrôlable de la lave prête à jaillir d’un volcan qu’on croyait à tout jamais éteint. Entre deux vers pieux, je murmurai des mots sans le moindre sens, des mots muets à la profondeur abyssale, des mots au parfum de sensualité.

      La mère supérieure s’approcha de moi et me lança un regard inquisiteur. Je replongeai dans mon missel et haussai le volume de ma voix, tel un mensonge proféré à des oreilles soupçonneuses. Elle se détourna de moi. Je regardai à nouveau devant moi. Entre le transept et l’abside, nulle silhouette enivrante, juste le corps bedonnant d’une marâtre virginale qui levait et baissait sans cesse sa baguette de chef d’orchestre. Sœur Angèle avait disparu. Des larmes s’immiscèrent au bord de mes yeux.

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