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Soeur Angèle (seconde partie) par w

Soeur Angèle (seconde partie)

 

       Durant les trois heures qui suivirent, je fus abreuvé jusqu’à plus soif de mathématiques indigestes où la géométrie orthodoxe se mêlait à l’algèbre abrupt. Puis vinrent les cours de langues où je perdis mon Latin. La matinée s’était écoulée dans les ténèbres d’un savoir que je ne souhaitais avoir, une connaissance qui m’était errance. Je me perdais dans ces leçons qui ne rimaient à rien, tant j’étais obnubilé par le fantôme de cette femme à la grâce ondinesque, cette parle rare lovée dans son écrin de sensualité.

       Midi retentit telle une libération. Je me levai, courus en-dehors de la salle de cours et me ruai dans le cloître. Je ressentis comme un courant électrique se propager dans tout mon corps, y compris dans mes parties intimes. C’était l’heure d’une nouvelle prière, celle de la Sexte. Je franchis le narthex, puis m’extasia devant le spectacle qui s’exprimait devant moi : au centre du transept, sous l’ombre de la croix, elle était là, debout, remuant son corps svelte et rebelle sous la lourdeur de l’étoffe qui l’emprisonnait.

      Je restai là, durant plusieurs secondes, ne comprenant pas ce qui m’arrivait. C’était un orage puissant, un tremblement de terre, une explosion universelle. J’étais le voyeur, elle était l’actrice de mes désirs. Tout à coup, dans un mouvement ample et généreux, elle souleva son scapulaire et le jeta à terre. Quasiment dénudée, elle ne portait en fait que deux ravissants bouts de soie, de la lingerie fine. Un soutien gorge dentelé qui ─ je le suppose car elle me tournait toujours le dos ─ devait compresser ses seins prodigues ; une petite culotte osée, aux fines broderies, qui était d’un rouge vif. Et elle se mit à onduler tel un champ de blé sous la brise. Magie de l’instant présent. Je ressentis comme une raideur sous l’œil larmoyant du Christ.

       Les autres élèves surgirent en masse et se précipitèrent dans la nef, à l’instar d’une horde de cochons fangeux se jetant sur leur mangeoire. Le charme était rompu. Sœur Angèle se volatilisa. Ne demeura plus que mes envies insatisfaites et un goût amer dans la bouche. Bientôt, après une énième louange au ciel, je suivrai la meute et me rendrai dans le réfectoire où une prière insipide précédera un repas terne sous la chape d’un silence angoissant.

 

       La bigote eut beau essayer de me faire suivre la latitude 30° Nord afin que j’identifiasse les différents pays d ‘Afrique du Nord, je ne pus me concentrer sur la carte. Elle, sœur Angèle, elle était devenue ma seule patrie, ma seule étoile, mon seul univers. Je bégayai je ne sais quoi, ce qui me valut un coup de baguette métallique sur les doigts. Mais peu m’importait la souffrance, si la jouissance de mes sens m’emportait vers le rivage de ma bien-aimée. Il était quinze heures, la prière de la None fut annoncée dans le fracas du battant frappant le tambour. Je fus le premier dehors. Je fus le premier à pénétrer dans le saint des saints.

       Elle était là, allongée sur l’autel, totalement dévêtue. J’avançai lentement entre les rangées de bancs qui semblaient m’épier sournoisement. Il régnait dans l’église une atmosphère lourde et humide, telle la torpeur de la moisson asiatique en pleine nuit. Dans le clair obscur qui recouvrait l’endroit d’une volute de mystère, j’entraperçus son corps en sueur se mouvoir lascivement. Le temps s’arrêta.

        Je pris appui contre un contrefort afin de ne pas m’écrouler. Les arcs boutants semblaient se trémousser eux aussi, chacun d’entre eux me faisant songer à un sein qui aurait battu la chamade. Mes yeux retrouvèrent le corps divin que j’adulais. Elle avait légèrement relevé les genoux. Elle écarta lentement les cuisses, puis glissa subrepticement sa main de sa gorge vers son sexe. Sous l’aura pâle du Christ, elle se mit à susurrer des mots que je ne connaissais pas, des mots qui résonnèrent en moi tel un long soupir dans les gorges d’un canyon. Une tempête me fit chavirer, tout en moi explosa et je ressentis comme une sensation d’humidité au creux de mon pantalon.

       Des cris se firent entendre en dehors de l’église et, en un tintamarre de talons heurtant le sol en pierre, la ribambelle de mes camarades investit les lieux. Je posai à nouveau mon regard sur l’autel. Elle n’y était plus. Juste une nappe à la blancheur immaculée surmontée d’artefacts eucharistiques, tels une coupe de vin ou un panier à hosties. Je m’assis en sanglotant. La mère supérieure passa à côté de moi ; je cachai le haut de mon pantalon avec mon missel sur la couverture duquel était gravée une croix d’un rouge sang.

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