(que ceux qui enfreignent les nouvelles lois craignent la mort)

     Comment tout cela a-t-il commencé ? La lassitude des masses est destructrice. Il ne devait rien y avoir à faire. Si tout arrive pour une raison, alors on ne peut rien empêcher. Tout au moins s'y préparer quand on sent l'inéluctable arriver. Les prévisions de fin du monde, d'explosion des sociétés. Pour changer, il n'est nul besoin de tout reconstruire sur les ruines d'un ancien monde. Il suffit de le vouloir. De le vouloir vraiment. Jusqu'au plus profond de soi.
     Il était temps d'arrêter de parler incessamment, de chercher des excuses, des failles. Il n'était plus possible de se contenter de ce qu'il y avait. Le système était vieux, inefficace, pire, inadapté. Même les lois au-dessus des lois ne s'appliquaient plus. Plus rien n'était respecté. Il n'est nullement question d'une vision apocalyptique d'un monde futur. Il s'agit bien de notre époque, fin d'un millénaire et début d'un nouveau siècle prometteur.
     Nombres d'époques sont passées et personne n'a rien fait. On ne parlait plus de délinquance mais de criminalité. La moyenne d'âge des hommes politiques étant de soixante ans que pouvaient-ils comprendre de ce monde ? Eux-même n'étaient plus connectés avec leur peuple. Des dinosaures n'ayant plus de nourriture. Cette planète elle-même était devenue un autre monde pour ceux qui la peuplaient. Les repères disparurent, les choses dévièrent et personne ne fit rien.
     Des manifestations finissant en émeutes, des étudiants ne comprenant plus rien car manipulés depuis la petite école par leurs professeurs. Plus personne ne vote. Il n'y a plus d'homme politique. Il n'y a plus de politique. De l'aide est demandée à l'Armée pour contrôler le monde. Les manifestations pro et anti explosent partout et dégénèrent. Les étudiants et les civils sont abattus par cette Armée débordée et inférieure numériquement. Il lui avait été demandé de réguler l'anarchie alors qu'elle n'en avait finalement jamais eu les moyens.

     C'est à ce moment que nous avons été créés. Embryons difformes enfantés par un cerveau malade pourrissant dans un monde à l'agonie. Rien de naturel dans notre existence. Seulement le fait d'être là et d'avoir un but. Aucune question à se poser. Au-dessus de toutes les sphères économiques et politiques mondiales (du moins ce qu'il en reste aujourd'hui) nous sommes passés à travers les époques, les guerres, et le Grand Renouveau.
     Car l'Homme finit malgré tout par atteindre la quintessence de sa plus grande création : la Science. Il n'était alors plus question pour lui de créer la vie organique mais psychique. La suprématie de la matière fut terrassée par l'avantage évident de l'esprit. L'age de la Limite De La Chair apporta énormément de souffrances à l'humanité avant de la remplacer. Les hommes voulaient s'entraider mais comme à chaque fois ils se détruisirent. Définitivement cette fois.
     Les cités en ruines n'abritaient plus que quelques esprits épars, privés de leurs caissons et condamnés à disparaîre dans leur propre oubli. Chaqu'un devint son propre trou noir s'avalant lui-même. Le Projet apparut alors. Des Remorqueurs furent envoyés dans le Néant spirituel car toute pensée humaine disparut. Le Docteur mit au point les Améliorations. Psychismes capables de se faire créer en envoyant un appel par-delà le Néant. Des combats titanesques opposèrent les Guerriers à une aberration monstrueuse nommée Projet Quatorze.
     En voulant aider à recréer la pensée nous avons commis nombres d'erreurs irréparables affectant d'autres réalités. Pourtant notre but n'était pas la destruction mais la création. Nous eûmes sans doute tort de croire qu'il était possible de créer à partir de rien. Quoi qu'il en soit nos recherches aboutirons sans doute un jour. En attendant nous devons tenter de contôler les réalités que nous avons créées par erreur, et détruire celles potentiellement dangereuses pour nous.

     Nous sommes désormais les seuls ici. Nous n'existons pas encore et allons tenter d'empêcher notre naissance monstrueuse. Une interrogation demeure : si d'aventure les humains avaient pris un autre chemin, se pourrait-il que nous ne soyions jamais ?