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Les noces hivernales (seconde partie) par w

Les noces hivernales (seconde partie)

       L’heure du dîner tinta en un glas lugubre : la vieille horloge qui l’avait vu enfant lui asséna une décharge électrique qui lui parcourut tout le corps. Il rouvrit les yeux, se releva et se dirigea vers le salon où il avait entassé des cartons qu’il avait emmené avec lui de Paris. Il les remplit avec tous les objets qui lui semblaient utiles : là, une lampe de chevet dont le nimbe avait relui sur le visage de sa tatie et sur le sien, lorsqu’ils écoutaient la sonate pour piano numéro 2 de Mozart ; ici, le livre relié d’Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll, qu’elle lui lisait au chevet de son lit afin qu’il s’endorme paisiblement ; là-bas, une statuette reproduisant l’œuvre « La fée Mélusine », de Ludwig Michael Von Schwanthaler, qui l’avait veillé lors de ses nuits de brouillard au début de l’adolescence. Ainsi passèrent les heures par l’amoncellement de ces objets dans des cartons, l’enterrement métaphorique de son autrefois regretté.

       Une soupe trop froide ; du vin trop chaud. Le silence en guise de compagne ; la clarté vacillante d’une bougie comme dernier refuge. Il alla se coucher. A tatillon, il monta les escaliers et trouva le chemin de sa chambre. Lumière coupée ; avenir sombre. Il plongea dans son lit comme on s’enfonce dans l’abîme de l’existence : lentement, sans s’apercevoir que le temps est un ennemi. Il remonta le drap sur son visage, déposa sa tête sur l’oreiller et finit par sombrer dans le néant du sommeil.

       Les secondes se firent heures, la nuit se fit orage, ses rêves se firent cauchemars. Il errait sans fin dans un canyon obscur, ne trouvant de point de repère que dans sa peur. Il fuyait son passé récent à l’instar d’un animal blessé cherchant à s’échapper des serres d’un prédateur implacable. Mais il n’y avait de parcours que dans l’infini du désert, mais il n’y avait de recours que dans les affres les plus insondables, mais il n’y avait de secours que dans le désespoir. Et, au loin, dans l’horizon noirâtre, se dessinait en trait épais la silhouette de celle qu’il avait aimée ; au plus profond de l’au-delà, dans le dernier cercle des enfers qu’il avait lui-même crée.

       Un bruit assourdissant réveilla Joseph : il vit un éclair zébrer le firmament. A travers les fenêtres ─ il avait oublié de fermer les volets ─, il regarda le ciel : il n’y avait aucune étoile pour caresser ses yeux, la lune n’était pas là pour envelopper son âme d’une étoffe de réconfort. Rien, si ce n’était des nuages noirs et lourds ; rien, sinon le tonnerre. La terreur l’avait envahi. Entre deux déchirures argentées, un silence de mort s’immisçait peu à peu dans sa chambre au point de générer en lui une angoisse étrange, un mal-être qui tenaillait son cœur.

       Alors qu’il laissait vagabonder son esprit dans ce tourbillon véhément de lumière aveuglante, un craquement sinistre se fit entendre derrière la porte. Son cœur se mit à battre plus fort. De ses yeux exorbités, il lécha le panneau en bois de la porte à s’en crever les pupilles. Le craquement se fit ouïr à nouveau. L’effroi se transforma en panique. Il se rendit compte qu’il y avait quelque chose d’anormal, un je ne sais quoi d’énigmatique qui glaçait son sang. Un autre craquement. C’était le plancher. Juste derrière la porte. Il y avait quelqu’un… ou quelque chose. Ses mains tremblèrent, des frissons l’envahirent, la tête lui tourna. Un silence alarmant s’imposa. Le temps se fit long…

       C’était là. Il le savait. Ca ne faisait plus de bruit, mais c’était là. Soudain, la poignée de la porte bougea. Elle descendit. Joseph se dressa sur son lit. La porte tressaillit. Insensiblement, tel un suaire de gaze se déposant sur un cadavre encore chaud, la porte s’entrebâilla. Un rai de lumière mystérieux se propagea dans la chambre, une lumière sombre, l’ombre d’une ombre. Peu à peu, l’interstice grandissait, à l’instar d’un filet d’eau se faisant ruisseau. Et à mesure que l’ouverture grandissait, Joseph pouvait voir se profiler des lignes étranges, la silhouette d’un être humain.

       « Qui est là ? », hurla-t-il. Il n’y eut de réponse que dans le murmure du silence. « Que voulez-vous ? » glapit-il. Rien, juste un souffle mystérieux de vent sur son visage.

       Comme par enchantement, les nuages se dérobèrent et une lune immense brilla de mille feux. La chambre se drapa d’une étoffe de lumière blanche.

       La porte était grande ouverte. La forme se précisa. C’était une femme. C’était une femme au galbe gracieux. C’était une femme au galbe gracieux et à la toison rousse. C’était une femme au galbe gracieux et à la toison rousse qui portait une robe noire.

       « Allez-vous-en ! ». Elle resta. « Ne vous approchez pas ! » Elle fit un pas dans la chambre à coucher. « Dîtes quelques chose… ». Le tonnerre s’arrêta brusquement.

       Telle une brise de printemps, elle avança peu à peu vers lui, non pas en marchant mais en flottant. Son visage se dessina sous les yeux de Joseph : un front lisse, des sourcils fins, des paupières poudrées de blanc, des yeux d’un vert de jade, des cils arqués et épais, un nez mince aux narines délicates, des joues teintées d’un rose azalée et des lèvres sensuelles d’un rouge carmin.

       « Je vous préviens, je vais être violent ! » cria-t-il. Elle esquissa un sourire indéfinissable, comme la première lueur de l’aurore après des ténèbres millénaires.

      Elle leva doucement le bras, avança sa main délicatement et souleva les draps dans un mouvement lent. Centimètre après centimètre. De elle à lui. Près, de plus en plus près. Elle se glissa dans ses draps sous les volutes de son parfum de myosotis. De son corps émanait une chaleur incandescente qui enivra les sens de Joseph au point qu’il ne sût plus où s’arrêtait la réalité et où commençait le songe. La noblesse de ses caresses, le goût de sa peau, la cascade de ses cheveux, la douceur de ses lèvres, l’extase exquise. Il se rendit compte qu’elle n’avait jamais connu d’hommes. Il l’aima. Elle l’aima. Ils s’aimèrent.

       Les unes après les autres, les étoiles s’immiscèrent dans les ténèbres, faisant du ciel jusqu’alors opaque une magnificence de clarté, des millions de diamants amants à l’éclat torride. La nuit passa dans l’entremêlement de leurs corps qui finirent par ne plus en former qu’un. Un tout, une entité, un univers d’amour. Dans le silence. Jusqu’au moment où Joseph dit :

       ─ Je ne me suis jamais senti aussi seul que ce soir. En moi ne demeurait plus que la peine. Et te voilà tout à coup. C’est un rêve, un miracle, un impossible réalisé.

       ─ …

       ─ Cette nuit, cela fait exactement un an que ma femme tant aimée est morte. Je ne cesse de songer à elle et ne me suis jamais remis de sa disparition. Je n’avais plus d’espoir que dans l’errance. Et te voilà.

       ─ …

       ─ J’ignore qui tu es, d’où tu viens, ce que tu veux. Mais je sais que j’éprouve pour toi des sentiments puissants, si puissants qu’ils en sont indescriptibles.

       ─ … Je t’ai toujours aimé… murmura-t-elle inopinément.

       Brusquement, les ténèbres envahirent à nouveau la chambre à coucher : les nuages venaient de recouvrir la lune et les étoiles. Il se mit à pleuvoir. Le noir. Rien. Joseph ne vit plus rien. Il n’entendit plus rien. Il ne sentit plus rien. Joseph se jeta sur le chandelier sur la table de chevet, prit son briquet et alluma les bougies. Lorsqu’il se retourna, sa couche était vide. La mystérieuse inconnue s’était volatilisée. Il regarda la porte : elle était fermée. Il s’écroula dans le lit, se mit les mains sur le visage, puis inspira toute l’air que ses poumons purent emmagasiner. Il expira longuement. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il se dit qu’il avait rêvé, qu’elle n’avait été qu’une ombre dans la plénitude de l’inconcevable.

       L’aube prenait naissance à l’horizon et une clarté nouvelle estompait l’obscurité angoissante. Joseph n’avait plus sommeil. Il n’avait jamais été plus éveillé qu’en cet instant. Il souleva le drap avant de se lever et remarqua soudain que quelque chose avait été émietté dans son lit. Il prit le chandelier et l’approcha du lit. C’était des pétales de roses. Des dizaines et des dizaines de pétales de roses, étalées là, sur le lieu de leurs ébats. Un tapis d’émois délicats sur le parterre de leurs amours.

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