Publier vos poèmes, nouvelles, histoires, pensées sur Mytexte

Les noces hivernales (troisième partie) par w

Les noces hivernales (troisième partie)

       Les nuages s’étaient teintés de platine et la neige avait fondu sous le martellement de la pluie de la nuit dernière. Joseph remplissait le coffre et l’arrière de sa voiture de cartons, lorsqu’une camionnette pénétra dans la cour du manoir, puis s’avança lentement jusqu’au perron de la demeure. Un coup de klaxon, puis deux, puis trois. C’était Gustave. Il stoppa son véhicule et en sortit.

      ─ Salut, le p’tit Joseph. Ca m’fait plaisir de te revoir après tout ce temps !

      ─ Bonjour, le Gustave. Heureux que tu sois là.

      ─ Comment vas-tu, lui demanda-t-il en lui serrant la main.

      ─ Bien, merci. Et toi ?

      ─ La pleine forme, surtout en te voyant : ça ravive mes souvenirs et me fait retomber dans ma jeunesse durant laquelle j’ai passé tellement de temps avec ta grand-tante.

      ─ On vit parfois des moments étranges…

      ─ A qui le dis-tu ! Tiens, je t’ai ramené ce dont je t’ai parlé au téléphone.

       Joseph rentra dans le manoir, suivi par Gustave qui portait un carton fermé. Ils s’installèrent dans le salon. Joseph versa une tasse de café à son invité avant de reprendre la parole : « je ne peux plus attendre. Je vais voir ce qu’il y a à l’intérieur. »

       Il saisit une paire de ciseaux et déchira le scotch qui recouvrait le carton. Il l’ouvrit. Il plongea la main et en sortit deux bouquets de fleurs séchées, l’un de myosotis, l’autre de roses. Il les huma, ressentit comme un frisson. Puis il trouva une lettre jaunie par le temps qu’il décacheta sur le champ d’une main tremblante.

       Mon petit Joseph,

       Si tu lis cette lettre, c’est que je ne suis plus de ce monde. Je t’imagine bien triste en ce moment, mais ne pleure pas car je suis persuadée qu’il existe un ailleurs meilleur, un au-delà où, tôt ou tard, ceux qui se sont aimés se retrouveront.

       Comme tu le sais, j’ai cultivé le silence et le secret ma vie durant. Ce n’était point de l’indifférence ou de la méfiance, juste une nature de caractère qui m’était propre. Ne pense donc pas que je cherchais à m’éloigner de toi car j’ai toujours partagé tes moments de joie et t’ai toujours aimé plus que tout.

       Ce que je vais t’écrire maintenant, nul de ce monde ne le sait ; ceux qui en avaient connaissance, dont tes parents, sont désormais morts et enterrés. Mais je n’ai pas voulu emmener ce secret dans la tombe. Tu as le droit de savoir.

       Il y a bien des années de ça, alors que tu n’étais pas né, que tes parents ne se connaissaient pas encore, je suis tombée amoureuse d’un homme au cœur d’or. Il ressentait la même chose pour moi. Malheureusement pour nous, nous étions cousins et nos parents respectifs, quand ils furent au courant de notre idylle naissante, n’acceptèrent pas cet état de fait. Ils nous éloignèrent. Il s’en alla, forcé, finir ses études au Canada. Je demeurai seule et en pleurs. Lointaine espérance… Le mur océanique ne put pourtant séparer nos âmes et nous continuâmes à nous aimer en catimini en échangeant des lettres passionnées. Nous crûmes pouvoir un jour nous retrouver. Mais…

       Il mourut bientôt d’une pneumonie.

       Je restai longtemps prostrée ne sachant plus quoi faire, ne sachant plus qui j’étais. Et même si mon état sembla s’améliorer avec le temps, je gardai au fond de moi cette épine aigue dans le cœur. Jamais plus je ne voulus connaître un autre homme… et je n’en connus jamais. Même mon amitié avec le Gustave n’alla pas plus loin que la tendresse. Je décidai donc de créer une facette polie à mon amour impossible d’autrefois en le transférant sur toi. Mais le temps nous a lui aussi séparé avec quelques rares cartes postales comme seul lien. Peu importe. J’ai toujours conservé en moi l’amour puissant que j’éprouvais pour toi. A l’heure où s’approche l’ombre, je t’aime plus que jamais.

       Prends soin de toi et vis une vie merveilleuse. Je veillerai sur toi et, une nuit étoilée, le plus tard possible, tu me rejoindras. Nous pourrons à nouveau partager nos joies et nos peines.

       Je t’aime plus que tout…

      Ta tatie.

       Des larmes chaudes coulèrent sur les joues de Joseph. Toute l’affection qu’il avait ressenti pour elle durant son enfance rejaillit à nouveau, plus grande, plus forte qu’elle ne l’avait jamais été. Il sortit un mouchoir, se frotta les yeux, puis plongea à nouveau les mains dans le carton. Il ne restait plus qu’un seul objet. Il était de forme rectangulaire. Lorsqu’il le sortit, il se rendit compte qu’il s’agissait d’un tableau. Un portrait de jeune femme rousse aux yeux verts. Il écarquilla les yeux et reconnut cette femme : c’était elle, l’étrange étrangère de la nuit dernière.

       ─ Je connais cette personne ! cria-t-il.

       ─ Ca, je veux bien le croire que tu la connais ! s’exclama Gustave.

       ─ Comment ça ?

       ─ Même si elle avait bien changé lorsque tu l’as côtoyée, je peux te l’affirmer sans hésitation : c’est ta grand-tante !

       ─ Tatie ?

       ─ Oui.

       Joseph baissa à nouveau les yeux sur le tableau et plongea son regard dans celui de sa grand-tante. Il se souvint de son enfance, il se souvint de la nuit dernière. Et, soudain, il crut percevoir comme un sourire indéfinissable sur le visage de sa tatie.

       Alors que la pièce était embaumée par un parfum chavirant de myosotis, un rayon de soleil perça le mur de nuages et alla se fondre sur la fenêtre du salon. La pièce fut ravivée d’un éclat que Joseph avait oublié, un éclat qui remontait à son enfance. Ce fut à ce moment précis que Joseph regarda le calendrier et se rendit compte que c’était le premier jour du printemps.

"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : Nouvelle | Par w | Voir tous ses textes | Visite : 404

Coup de cœur : 14 / Technique : 11

Commentaires :

pseudo : Karoloth

J'avais un peu de temps devant moi. Quelle chance ! Cela m'a permis de lire cette histoire de relations incestueuse post mortem, au moins pour l'un des protagoniste et je dois avouer que j'ai passé un bon moment. merci. Triple CDC !!!

pseudo : w

Je suis bien heureux que tu aies pris le temps de lire ma dernière née. Merci pour ton gentil commentaire qui me fait chaud au coeur. A bientôt.

pseudo : Mignardise 974

je dirais mm plus que triple CDC ! ah vraiment c'est un véritable, un sublimissime bonheur que de lire tes nouvelles où chaque fois l'amour se décline sous différentess facettes. Merci infiniment ! =) bises amicales.

pseudo : w

Merci à toi Mignardise. Oui, j'aime bien décliner l'amour sous toutes ses formes. D'ailleurs, entre deux passages sur le net, je suis en train d'écrire en ce moment une autre nouvelle où, encore une fois, l'amour prend ses atours les plus surprenants... (and a little bit shocking) :-) Je t'embrasse bien fort.

pseudo : lutece

Magique. Je l'attendais avec impatience et suis ravie de m'être plongée dans cette histoire étrange! Merci et Bi Big CDC

pseudo : w

C'est gentil lutece. J'avais commencé l'écriture de cette nouvelle il y a un mois et je me suis retrouvé coincé : que venait faire ce fantôme dans la chambre à coucher de Joseph. Quelques semaines plus tard, j'ai trouvé le filon grâce au personnage de la grand-tante défunte. Le reste de la nouvelle fut écrit en une soirée. :-)

pseudo : féfée

J'ai beaucoup aimé aussi. Heureusement que la grand-tante a retrouvé son corps de jeune fille après sa mort... Je plaisante ! Une histoire d'amour sublime écrite avec talent ! CDC

pseudo : damona morrigan

Désolée de ne pas avoir été là hier comme promis. Je viens de lire ton histoire d'une traite ! Superbement menée bravo ! J'avoue j'ai eu la même réflexion que féfée !!! Ha ! CDC for you !

pseudo : w

Merci à vous deux, féfée et damona. Je me souviens, il y a bien des années, d'être tombé sur une photographie du tout début du 20ème siècle où se trouvait une si belle adolescente en robe noire protestante. J'étais sous le charme. Quelle surprise pour moi que de découvrir qu'il s'agissait de ma grand-tante âgée de plus de 80 ans ! :-)

pseudo : Poupynette

Ah! Ah! Alors elle n'est peut être pas tout à fait inventé cette histoire ? Elle se lit d'une traite et c'est bien d'avoir la suite....Tout de suite ! CDC !!

pseudo : w

Sacrée Poupynette ! :-) En tout cas cette nouvelle est un joli bébé que j'affectionne. Bisou à toi.