« C’était le mois de mai 18.. dans les environs de Paris. Mon ami et collègue d’alors, M. Shine, venait de descendre de sa calèche et marchait à présent sur le gravier de l’allée menant au manoir de sa mère. Des chênes hauts et verdoyants lui faisaient une haie d’honneur à son passage, mais en lui régnait une misère sentimentale affligeante. Il faisait une chaleur agréable, alors que la froideur la plus saisissante avait recouvert son corps d’un linceul de fixité. Dans un ciel qui répandait un bleu azur de sérénité se nichait timidement un soleil fauve ; en son âme ne subsistaient plus que les ténèbres d’un présent qui se conjuguait à l’imparfait. Il croisa des massifs touffus de fleurs aux couleurs éclatantes qui ne purent dissiper la solitude abyssale qui l’avait envahi la veille, à l’annonce de cette tragique nouvelle. Malgré le piaillement enjoué des oiseaux qui voletaient d’arbre en arbre, c’était un silence de mort qui le maintenait prisonnier sous une chape de plomb.
« M. Shine fit retentir la clochette, puis un serviteur en livrée l’accueillit et le fit pénétrer dans la demeure. L’atmosphère pesante du vestibule l’agressa immédiatement. En déposant son chapeau et sa canne, il remarqua que ses mains tremblaient vivement. A pas lents, il suivit le serviteur qui lui fit longer un couloir interminable avant de lui présenter une porte close. C’était là. M. Shine ouvrit la porte puis pénétra dans la pièce.
« Ce qu’il remarqua immédiatement et qui généra en lui un vertige indescriptible, ce fut le silence lourd qui dominait cette vaste chambre à coucher. Il y a des mots muets qui en disent plus longs que tous les vacarmes, et c’était un discours de vide qui l’attaquait soudain. Il vit aussi que l’endroit était habité par une lumière étrange, presque onirique, qui le terrifia. Un clair-obscur angoissant crée par la diffusion infime des rayons du soleil à travers les épais rideaux pourpres de la chambre. Mais ce qui lui fit le plus mal, ce fut cette odeur puissante de mort qui, telles des flèches empoisonnées, se fichaient sans ses narines. Une souffrance horrible qu’il ne parvenait pas à chasser, même en respirant par la bouche.
« Elle était là, allongée sur son lit, figée comme une gravure blafarde sur du marbre. Ses yeux étaient clos et ses mains, aux doigts entrelacés, reposaient sur son ventre. Il s’approcha lentement, comme s’il cherchait à retarder l’inévitable. Arrivé au seuil du lit, il s’agenouilla et récita une prière pour les défunts.
« Le temps n’existait plus et il ne savait plus depuis combien de minutes il se trouvait là à pleurer toutes les larmes de son corps. Elle avait été sa mère, celle qui l’avait élevé, celle qui l’avait aimé, celle qu’il avait aimée. La seule femme qu’il ait jamais connu dans le grand manoir de sa jeunesse. Les souvenirs des bonheurs d’antan le submergèrent dans les eaux turquoise du passé.
"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"
Style : Nouvelle | Par w | Voir tous ses textes | Visite : 318
Coup de cœur : 12 / Technique : 9
Commentaires :
pseudo : Martina
J'adore
pseudo : w
:-)
Nombre de visites : 77790