Et voilà déjà l’aurore. J’imagine avec peine que le soleil distille à présent avec délicatesse ses rayons salvateurs sur la ville, tant l’obscurité règne en maîtresse absolue dans ma geôle. Entre les barreaux rouillés sont filtrés quelques rares rais de lumière qui ne parviennent à créer qu’un climat angoissant dans ma cellule. Je suis assis sur une paillasse puante et tente, à la lumière de la bougie, d’écrire ces quelques mots à l’encre de mes larmes. Le reflet que me renvoie le verre brisé qui me sert de miroir ne fait qu’amplifier ce sentiment délétère qui m’a envahi depuis mon réveil. Mes cheveux en bataille crient ma folie, mon front ridé creuse le canal sanglant de mon futur, mes yeux globuleux sont un océan de tourments et mon teint livide fait songer aux neiges de la mort. Je vais essayer, pendant le peu de temps qu’il me reste encore, de vous dire pourquoi je suis là, pour vous montrer à quel point mon sort funeste n’est dû qu’à une succession en chaînes d’événements dont je ne suis que la pauvre victime. Car je vous l’affirme : c’est l’autre qui est coupable. Je suis innocent !
Les lumières des mille et un lustres jetaient un feu festif dans les diverses salles de l’Elysée, tandis que la musique jouée par les cordes et les cuivres faisaient vibrer les murs d’une caresse ondulatoire exquise. La veste de mon smoking à queue de pie voletait dans la salle principale parmi toutes celles des autres convives qui valsaient aux bras des femmes les plus chamarrées que j’eusse jamais vues. Il y avait dans l’air comme un parfum de liberté folle, une liberté que j’avais enfin retrouvée après dix longues années de pensionnat dans un collège et lycée jésuite situé au cœur de l’auvergne, au plus profond de la campagne désolée française. Une enfance et une adolescence d’errance dans les profondeurs abyssales des églises où ne régnaient que les interdits, donc les frustrations, que les châtiments, donc la haine. Et me voilà aux bras des femmes les plus charmantes, moi qui n’en avais plus croisée depuis si longtemps, si ce n’était au cours de brèves vacances chez mon dévot de père qui voyait en la gente féminine l’incarnation du diable. Mais j’étais sorti de l’enfer catholique pour me pavaner au paradis de la république.
La musique s’arrêta, laissant place au vacarme des rires de tous les invités. Des robes rouges, vertes, jaunes, bleues ; c’était un arc-en-ciel de fantasmes qui se reflétait sur mes pupilles dilatées. Le Président de la République, Monsieur Emile Loubet, grimpa sur une estrade au fond de la salle en tenant son haut-de-forme dans la main gauche et en s’épongeant le front de l’autre. Je compris qu’il allait commencer son discours habituel du quatorze juillet, le dernier de son mandat. Lassé par les longs sermons que j’avais dû endurer durant tant de temps agenouillé devant un prêtre, je ne voulus pas ingurgiter la masse de mots politiques que le Président de la République allait me cracher au visage. Je me faufilai donc dans l’embrasure de quelque rideau, puis passa par la porte-fenêtre afin de prendre l’air dans le grand jardin. Mon chapeau entre les mains, je lorgnais ci et là afin de me lécher les babines oculaires du galbe de toute femme qui pouvait se trouver là. Il revint en moi ce sentiment étrange que j’avais éprouvé si souvent durant ces longues années, celui de ne pouvoir appréhender ce démon qui me torturait toutes les nuits. Il s’infiltrait en moi dès le crépuscule avant d’envahir mon esprit d’images érotiques où chaque inconnue était un trésor pour mes sens. Mais il ne fallait pas que je songeasse à cela : c’était mal, m’avait asséné les curés en confession. Pourtant, au clair de lune, mes yeux écarquillés faisaient miroiter les silhouettes lascives de toutes ces étrangères, des princesses orientales, des gitanes andalouses ou des bourgeoises parisiennes, qui engendraient un déferlement de lave sur mon corps en sueur. Je passai mon mouchoir sur le front, lorsque la musique reprit. Je me laissai voguer sur les flots exquis de la passion.
(à suivre...)
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Commentaires :
pseudo : italogreco
je n'ai pas de mots pour exprimer ce que je ressens je me suis laisser emporter par tes mots remplis de magie et de puissance du grand écrit j attends la suite avec impatience....
pseudo : w
Je te remercie italogreco pour ton commentaire si agréable à lire. J'ai pris un grand plaisir à écrire cette nouvelle.
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