Alors que je laissais vagabonder mon esprit dans les volutes évanescentes de l’irréel, une silhouette indistincte se glissa près de moi : c’était une femme. Elle avait le souffle court, ses joues empourprées dégageaient une chaleur torride, sa chevelure blonde illuminait l’espace et les infimes gouttelettes de sueur qui dégoulinaient de son front jusqu’à sa nuque était un fleuve de sentiments puissants. Je n’avais jamais vu plus beau spectacle qui celui qui se dessinait à l’instant sous mes yeux. Il émanait d’elle une torpeur sensuelle inédite qui me rappela mes nuits solitaires chez les jésuites, mais un ton au-dessus. Bien plus d’un ton, en fait. Beaucoup plus. Ses lèvres charnues étaient recouvertes d’un rouge vif, tel un feu qui aurait embrasé mon cœur ; sa chevelure abondante et bouclée à l’envi lui conférait un statut de sauvage policée, une amazone urbaine ; sa robe de soie bleue électrifiait mes iris, surtout lorsque je vis avec envie les courbes de son corps qui s’y dessinaient conne un coulis de myrtilles sur une mousse de chocolat ; et elle avait l’audace d’arborer un décolleté fortement prononcé qui laissait voir à tout un chacun sa gorge palpitante. Un éclair de chaleur zébra le ciel avec une violence inouïe et tout en moi s’effondra, le regard noir de mon père, les murs blanchis à la chaux de ma cellule d’étudiant, le visage sévère des prêtres. Tout s’écroula. Devant moi, se dressait un nouvel horizon qui me murmurait des mots passionnés.
Ce fut à cet instant que je crus que quelqu’un m’observait. Je me retournai. Il n’y avait personne. Juste elle et moi dans les environs. Pourtant, je ne parvenais pas à m’ôter de la tête qu’un autre m’espionnait.
Elle rentra. Je la suivis. Les heures passèrent dans la flamboyance de valses autrichiennes qui transformaient chaque couple en une toupie incandescente. A chaque nouvel air, elle changeait de partenaire, telle une libertine enveloppée d’une aura de plaisir incessant. Des bras d’une vieille épouse de ministre à ceux d’une autre, je m’approchai lentement d’elle. Dans la frénésie de cette soirée, il me revint en mémoire les derniers mots de mon père qui, il y avait un mois de cela, m’avait fait jurer de ne point tomber dans les pièges posés par Satan sur le chemin de mon destin. Mais, à présent, je me fichais éperdument de ses dires tant les formes généreuses de Lucifer me tentaient, là, à quelques centimètres de moi. Les instruments cessèrent brusquement, et je me ruai devant elle avec le souffle court et le cœur battant la chamade. J’allais lui prendre les mains, lorsqu’elle se tourna vers l’endroit où se trouvaient les musiciens et se mit à applaudir. La foule en fit autant. Je compris alors que la fête était finie et que je ne pourrai pas étreindre ce péché fait de chair. La vieille horloge du grand salon retentit en un glas funeste, tandis que je vis les couples se défaire puis s’engager vers les sorties. Elle… Elle avait disparu de mon champ de vision.
Alors que la pluie frappait la cour de l’Elysée avec une violence inouïe, j’enfonçais les cohortes d’hommes et de femmes épuisés qui me barraient le passage en regardant à gauche et à droite afin de la retrouver. Je crus revivre ce cauchemar que je faisais enfant où j’errais en vain dans un labyrinthe obscur aux murs élevés. L’angoisse. La solitude. Tout à coup, je la retrouvai sur le trottoir. Elle montait dans une de ces nouvelles automobiles, une automobile rouge comme le sang. Je courus jusqu’à une vieille calèche et demandai au conducteur de suivre le véhicule motorisé. La poursuite fut pénible car l’automobile roulait bien plus vite que ma voiture à cheval. Je pus cependant la suivre dans la rue du Faubourg Saint-Honoré avant qu’elle ne prît la rue Royale afin d’aboutir à la place de la Concorde. Là, le quatre roues décéléra lentement jusqu’au moment où il atteignit le Quai des Tuileries. L’automobile s’arrêta net. J’en fis de même au coin de la rue. Dissimulé dans l’ombre, je la vis sortir du véhicule, aidée par le conducteur, puis régler la note. Je fis la même chose et demanda au driver, en lui donnant en prime un Franc en argent, de patienter quelques instants avant de remettre en mouvement sa calèche : il ne fallait pas qu’elle s’aperçût qu’elle était suivie… que je la suivais.
(à suivre...)
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Style : Nouvelle | Par w | Voir tous ses textes | Visite : 269
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Commentaires :
pseudo : italogreco.
....comme la première partie...GRos cdc
pseudo : w
C'est très gentil. :-) C'est une de mes nouvelles préférées.
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