Que dire de plus au sujet de Dan Verlon, sinon que c’était un type bien, poli, agréable ? Un bon gars toujours de bonne humeur, de nature un peu timorée, mais un bon technicien malgré tout.
Dan Verlon était apprécié de tous, même s’il ne se joignait que très peu à ses collègues, c’était un homme que tout le monde trouvait fort sympathique.
Sauf, sans doute, Virginia Chessbone.
A l’inverse des flux magnétiques qui attirent simultanément deux êtres l’un vers l’autre, il devait probablement exister une espèce de force répulsive qui opposait ces deux personnages pourtant tout à fait ordinaires.
Sans raison apparente, Dan Verlon détestait Virginia Chessbone, qui d’ailleurs, le lui rendait bien.
Dan et Virginia ne se rencontraient que très rarement, mais lorsqu’ils avaient affaire ensemble, c’était à chaque fois pareil: disputes, divergences d’avis, coups de gueules, déferlement d’insultes...
Dan et Virginia se détestaient carrément, et même si quelqu’un avait pris la peine de leur demander pourquoi, il y avait fort à parier que ni l’un ni l’autre n’aurait pu répondre.
C’était ainsi, et pas autrement, juste une question de magnétisme !
Ce jour-là, alors qu’aucun employé n’était encore arrivé au bureau, Dan marcha d’un pas rapide pour traverser le long couloir qui menait au local des photocopieurs.
C’était une petite pièce, très bruyante, un peu l’écart, dans laquelle on avait installé deux Rank Xéros de gros calibre qui tournaient toute la journée, la toute vieille imprimante à jets d’encre qui faisait un bruit incroyable, l’écran du terminal Reuter, une banque de données à laquelle quelques-uns seulement avaient accès, et la rogneuse à papier avec laquelle on détruisait régulièrement les documents confidentiels.
Dan s’assura que personne ne venait. A cette heure-là, il n’y avait aucun danger !
Il pénétra dans le local, alluma automatiquement l’interrupteur qui commandait aux néons de s’éclairer, et il s’agenouilla sous la table de Reuter.
Précautionneusement, il sortit le petit fusible de la poche de sa salopette. Il dévissa les 4 vis à tête cruciforme de la plaque arrière, échangea le fusible de sécurité avec celui qu’il avait emporté et referma la plaque arrière.
Dan se mit de côté et ouvrit la porte avant. Avec une pince d’électricien, il desserra les crans de sécurité de l’avaloir, détacha les deux arceaux de blocage, et vérifia la grille.
Tout était en ordre. Il se coucha sur le sol, et de l’autre côté, il fit sauter d’un cran un petit engrenage bien précis.
Rapidement, il remit tout à sa place.
L’air de rien, Dan Verlon regagna le sous-sol où les ateliers se trouvaient, et il attendit que ses collègues arrivent enfin.
On ne peut pas toujours savoir ce qu’il se passe dans la tête des gens, mais un fait certain, Dan Verlon avait bien prémédité son coup !
La journée des employés commençait toujours vers 9h00, heure à laquelle ils s’installaient derrière leur bureau, discutaient franchement de choses et d’autres avec leurs collègues, pour ensuite s’approvisionner en café.
Le café est une boisson vitale pour l’employé. On peut presque dire que le café est à l’employé, ce que le diesel est à un véhicule à moteur.
Vers 9h45, en général, les employés commençaient à travailler effectivement.
C’était toujours vers cette heure-là qu’on faisait appel aux techniciens pour dépanner l’une ou l’autre machine en rade.
C’était précisément à cette heure-là que Virginia Chessbone entrait tous les jours chez le Directeur pour lui remettre son courrier, prendre quelques notes et ensuite repartir dans son petit bureau jouxtant le local des photocopieurs.
Ce jour-là, Virginia dactylographia les rapports de stage des jeunes engagés, elle les corrigea après relecture, les porta encore à relire au Directeur et une fois que toutes les ultimes corrections nécessaires y furent apportées, elle photocopia les fameux rapports en douze exemplaires, pour ensuite les destiner à la Direction. C’était un travail qui revenait mensuellement, un travail fastidieux, sans intérêt, mais indispensable au bon fonctionnement de l’entreprise.
Sur l’écran de contrôle de la machine, elle sélectionna le chiffre 1, suivi du 2. 12 copies en série, agrafées.
Elle contrôla le premier exemplaire que la Rank Xéros expulsa dans son bac de réception.
La qualité était suffisante et elle s’accouda au terminal de Reuter en patientant.
12 copies de 8 pages agrafées, l’histoire de quelques secondes à peine.
Elle se pencha, et prit les copies.
Il y en avait 13 !
Elle était pourtant certaine d’avoir appuyé sur le 1 et puis sur le 2, mais de fait, il y avait 13 copies.
13 copies, c’était une de trop ! Elle aurait parié tout l’or du monde que le compteur du photocopieur avait marqué 12 et pas 13, mais en fait, elle s’en moqua éperdument.
Elle compta une seconde fois ses copies, les jugea d’un coup d’oeil rapide, et prit la dernière.
Les rapports de stage étaient confidentiels, seuls les membres de la direction pouvaient les lire, aussi, dut-elle détruire la treizième copie.
Elle alluma la rogneuse, attendit que la lampe verte de départ se mette à briller, et une à une, elle introduisit dans l’appareil les pages qu’elle avait dégrafées.
La rogneuse, un vieil appareil qui fonctionnait malgré tout fort bien.
48 couteaux, 48 lames dentelées actionnées par un puissant moteur électrique.
Une rogneuse sur laquelle il était indiqué de ne pas s’approcher avec des cheveux longs ni avec une cravate, afin d’éviter les éventuels accidents.
Elle poussa la seconde page. Virginia Chessbone travaillait là depuis bientôt 18 ans, elle savait qu’il ne fallait jamais aller trop vite et il y avait bien longtemps qu’elle avait adopté un rythme lent et posé qu’elle tiendrait jusqu’au jour de sa mise à la retraite.
Elle fit glisser la troisième feuille. La machine avalait le papier à toute vitesse. Les 48 scies rognaient rapidement les pages qu’elles découpaient en autant de lamelles illisibles.
Virginia prit le restant du paquet de feuilles et le poussa sur le petit tremplin de la rogneuse.
D’une traite.
D’une traite, la gueule féroce et vorace de l’engin happa ses doigts.
Dix malheureux doigts bagués et soignés avec des ongles peints et limés parfaitement.
10 doigts experts de secrétaire.
10 doigts, qui en un rien de temps devinrent 48 bouts de chairs trempés de sang.
Le système de sécurité défaillit. La rogneuse ne s’arrêta pas.
Les poignets de la pauvre fille y passèrent également.
Seule la gourmette en or de Virginia ne fut pas hachée menue.
Deux poignets délicatement bronzés.
48 langues flasques et poisseuses découpées parfaitement.
Virginia Chessbone, comme soudain étouffée par une douleur insupportable, ne se mit à hurler réellement qu’à partir du moment où ses coudes furent entamés.
Fort heureusement pour tout le monde, sauf pour elle, personne ne l’entendit geindre et crier à la mort, à cause d’une part, du bruit des machines voisines et, d’autre part, de l’isolation efficace du petit local des photocopieurs.
La rogneuse patina légèrement au niveau des coudes de la malheureuse, mais elle continua malgré tout et les broya aisément...
Les biceps furent déchiquetés en un instant, mais quand la tête de Virginia Chessbone fut gobée partiellement, la rogneuse étouffa et stoppa net, noyée d’hémoglobine et de lambeaux de chairs vives.
Virginia Chessbone ne survécut que quelques minutes à ce stupide accident qui n’en était pas un. Quant à Dan Verlon, il ne fut jamais inquiété puisqu’aucune enquête ne fut ordonnée.
Dan Verlon était probablement un type fort sympathique et courtois, mais ce que tout le monde ignorait, c’est qu’il valait beaucoup mieux prendre son parti et essayer de lui plaire à tout prix, car autrement, il pouvait faire preuve d’une imagination diabolique et sans limite !
FIN.
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