Elle n'est pas partie loin, elle n'est pas partie longtemps, elle n'est pas partie ailleurs, mais elle s'éloigne. Je sens tous ces liens tissés trop rapidement se distendre, arracher ma peau, ouvrir mon cœur, dévider la moelle de mon cerveau, enlever la substance de chacune de mes cellules. Je suis démuni devant cette désarticulation qui fait pantin un garçon plein de vie. Je suis sans défense devant ce chapardage qui ne me détruit pas mais transforme mon histoire en self service, je suis inquiet des forces qui m'abandonnent aux tiraillements amoureux.
Elle revient, pas plus près, pas plus fort, en silence, elle se retrouve là et les tendons qui reliaient nos histoires reprennent leur forme, ma peau me recouvre à nouveau et les circonvolutions se replacent, mais pas au même endroit, tout n'est pas rangé de la même façon, je suis un homme neuf, elle a remis des trésors sur mes étagères, elle a renversé mes souvenirs, elle a remplacé mes envies, elle a regonflé mon cœur et tout fonctionne, mieux qu'avant, mon cœur bat plus fort, il y a plus de place en moi, tout est lumineux, les tentures surannées sont maintenant des ouvertures béantes.
Mais qui est-elle ? Est- elle bien elle ? Est- elle toutes ces femmes que je regarde et qui me font vivre ? Est- elle cette force éternelle qui nous mobilise et qui, croit- on, nous investit par magie pour le plaisir égoïste de deux êtres perdus ? Est- elle cet espoir insensé d'une vie définitivement heureuse ? Est- elle cette souffrance qui durcit nos chairs pour mieux les liquéfier ensuite, cette souffrance dans laquelle on plonge en naissant, dans laquelle on se baigne et qui nous noie un jour ?
Oui, je crois bien qu'elle est cette souffrance, comment en parlerait-elle si bien autrement ? Pourquoi serait-elle si aguichante sinon ? Pourquoi me donnerait-elle autant envie de m'en nourrir, pourquoi attendrait-elle que je m'épuise dans son pur amour si je ne devais pas complètement l'habiter ?
Elle est ma souffrance, elle est ma vie désormais.