La nuit se fondait langoureusement dans le jour naissant et le bleu marine se métamorphosait lentement en un bleu azur. Les nuages étaient disséminés sur la voûte céleste en formant un chapelet d’ivoire onirique. Une pâle lumière drapait d’une gaze exquise les murailles du petit château-fort dans lequel régnait un silence de mort.
Il avançait dans une salle péristyle, la tête courbée, à l’instar d’un pénitent qui aurait été en train de se repentir d’un grave méfait. Mais il n’avait rien fait. Il avait été le témoin de l’horreur. Il avait des jambes longues et fines qui s’élevaient vers un tronc mince à la musculature discrète. Son visage émacié portait les stigmates de la souffrance intérieure, tandis que ses cheveux d’un noir de jais pendaient lamentablement sur ses épaules.
Il arriva à une porte cochère en bois dont il ouvrit le battant droit avant de pénétrer dans la pièce adjacente. C’était un temple. A travers les croisées au verre verdâtre s’infiltraient en fines particules des rais de lumière qui plongeaient la vaste salle dans un clair obscur digne d’un rêve… voire d’un cauchemar. Il pressa le pas, longea une série de bancs vétustes afin d’aboutir à un fauteuil de velours noir sur lequel il finit par s’installer.
Il n’y avait de mots que le murmure ailé des moucherons qui voletaient ci et là, il n’y avait d’images que le corps figé de cette femme sous la forme d’une statue de pierre. Il l’observait à s’en arracher les yeux, il écoutait son mutisme éternel comme s’il s’agissait d’une symphonie fantastique. Il se souvint.
Elle et Lui, Lune et Soleil sur la marée de la passion, Venus et Mars sous le nappage délicat de la voie lactée. Ils marchaient tous deux, main dans la main, dans les jardins du palais, bercés par le clapotis mélodique des fontaines et les harmonies délicieuses des oiseaux qui chantaient en voletant d’arbre en arbre. Comme tous les jours, lorsque l’aurore peignait la toile de l’univers de son pinceau rutilant, ils s’enlaçaient sous les châtaigniers, s’embrassaient sur l’herbe humidifiée par la rosée, s’aimaient dans les volutes légères de leurs sens exacerbés.
Mais un jour funeste arriva. La clarté se fit ténèbres : une éclipse couvrit le palais d’un voile noirâtre oppressant. Ils étaient assis, l’un contre l’autre, dans une barque qui flottait sur le lac, lorsqu’ils virent le ciel se déchirer d’éclairs et des fleuves de sang tomber des nuages. Ce fut là qu’elle apparut, elle, juchée un dragon maléfique, elle, la sorcière du pays avec ses longs cheveux grisâtres, ses yeux injectés de sang, son nez crochu, sa dentition aux chicots noirs et son menton prognathe. Elle parcourut l’espace qui séparait le ciel de la terre et atterrit sur la rive. Toujours assise sur l’animal en furie qui poussait des hurlements effrayants, elle pointa son index crochu vers le jeune couple et plia la phalange afin de ramener le doigt vers elle. Ce fut alors que la barque s’avança comme par magie vers la rive. Bientôt l’homme et la femme durent débarquer. Ils étaient tous deux figés de terreur, lorsqu’elle ouvrit la bouche.
« Voilà un peu plus de vingt ans, jeune chevalier, ton père m’a éconduite afin d’épouser ta mère. Je ne le revis jamais. A présent que te voilà à l’orée de ton vingtième anniversaire, je reviens en cette terre que je maudis afin d’assouvir ma vengeance. Puisque ton seigneur de père a brisé mon cœur, je vais prendre celui de la bien-aimée de son fils. Qu’à tout jamais il se souvienne de moi ! »
Tout à coup, le dragon tourna la tête vers la jeune femme et cracha une vapeur âcre et suffocante sur elle sous le regard abasourdi de son amant. Elle en fut toute recouverte et disparut des yeux de son chevalier. Quand les volutes opaques se furent dissipés, il ne restait d’elle qu’une statue de pierre de laquelle s’extraya soudain son cœur rouge qui battait la chamade. Il lévita à quelques centimètres du sol jusqu’à la sorcière qui le prit dans la paume de sa main. Il se transforma soudain un en rubis à l’éclat chatoyant. Elle ricana, puis vociféra :
« Ta belle n’est plus que roche et son cœur est mien. Maintenant, je vais l’enfoncer dans la gueule de mon dragon qui le digérera durant des millénaires, un temps que toi et ton père pourrez passer à pleurer le souvenir de votre belle princesse. Soyez maudits tous les deux à jamais ! Adieu ! »
Et sous les larmes du jeune chevalier, le dragon se mit à battre des ailes avant de s’envoler dans la profondeur de cieux avec, sur son dos, la sorcière qui s’était mise à rire, un rire aigu, un rire tel du cristal brisé. Elle disparut bientôt tandis que le jeune homme s’agenouilla à terre et tapa du poing sur l’herbe en hurlant toute sa peine abyssale.
Il avait les mains jointes sur son missel et pleurait tout son soûl, lorsqu’une voix fluette se fit entendre devant lui, non loin de la statue. Il regarda derrière la cascade de son immense chagrin mais ne vit rien d’autre que sa bien-aimée figée à tout jamais. La voix retentit une nouvelle fois. Il se tourna et retourna sans rien voir dans tout le temple. Ce fut alors qu’une vive lumière apparut devant la statue. Peu à peu, telle la formation d’une galaxie, des millions d’étoile minuscules apparurent et s’approchèrent les unes des autres pour finalement former une silhouette svelte. Les étoiles se conglomérèrent totalement et une femme de petite taille, à la longue robe écarlate et aux petites ailes dans le dos se mit à flotter devant le chevalier tout étonné. Elle passa sa main diaphane sur ses cheveux d’une blondeur de paille et commença à parler :
« Je te vois bien triste, mon jeune ami. Moi, la fée du royaume, je te regarde verser des larmes à foison depuis un an déjà. En cet anniversaire funeste, j’ai décidé de venir à toi car je ne puis continuer à te voir souffrir de la sorte. Je vais te révéler un secret que seuls les mages et les dieux devraient connaître mais que je te crois prêt à entendre : loin de ton château, par delà monts et vaux, demeure une grotte ancestrale dans la vallée du désespoir. C’est là-bas que se trouve le repaire de la sorcière qui a brisé ton cœur et pris celui de ta douce et belle. Si tu souhaites que ce tort soit réparé, il te faudra combattre le dragon et lui retirer des entrailles le cœur en rubis qui s’y niche. Reviens alors victorieux et rends la vie à ta princesse jolie. Je reviendrai à toi quand ton épée te sera trop lourde à porter. A présent, va ! »
La fée disparut dans un éclat de lumière intense. Ne resta plus que la statue et le chevalier. Il se releva, fixa une dernière fois son amour des yeux et se mit à courir à en perdre haleine jusqu’à la chambre d’armes. Une fois revêtu de son armure et paré de son bouclier ainsi que de son épée, il descendit quatre à quatre les escaliers du palais, se rua dans l’écurie, où il harnacha rapidement son fidèle destrier blanc, avant de sortir du château au galop et de s’enfoncer dans l’horizon.
(à suivre...)
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