« Un rayon de soleil réussit à traverser la camisole des nuages et se posa délicatement sur le visage de Marjolie sur lequel se lisait la stupéfaction. Elle referma le livre bruyamment et se mit à trembler de tout son corps. C’était la première fois qu’une chose pareille lui arrivait. Elle avait si peur. Mais, reprenant courage, elle inspira une bouffée d’air et, après une attente de quelques secondes, l’expira puissamment. Elle rouvrit alors le grimoire au hasard et tomba sur de nouveaux mots :
Enfonces toi dans la forêt
Prends garde aux apparences
Rends-toi à l’autel qui pense
Prends l’objet et cours sans arrêt
« Seule une faible clarté se diffusait à travers le tapis de nuages gris qui plongeait l’espace environnant dans un clair-obscur angoissant. Après avoir quitté la rivière, Marjolie emprunta le petit chemin qu’elle connaissait si bien et longea le marais des soupirs où elle entendit des bruits étranges, tels des plaintes qui auraient hululé. Au bout de quelques centaines de mètres, elle aboutît à l’orée de la Forêt de l’Inconnu en traversant un brouillard épais dans lequel elle distinguait à peine ce qu’il y avait juste devant elle. Ses muscles se raidissaient de plus en plus à l’approche de la forêt à la lisière de laquelle elle s’arrêta brusquement, les membres tremblants et le souffle court. Elle ferma les yeux, crispa ses paupières, puis les releva. Le grimoire serré entre les bras, elle remarqua un petit sentier qui pénétrait dans la masse verte et s’y jeta aussi vite que ses jambes pouvaient la porter.
« Les arbres étaient enlacés les uns contre les autres d’une manière si compacte qu’il y avait juste assez de place pour qu’elle se faufilât entre les troncs et suivît ce petit sentier qui semblait se perdre dans les profondeurs de ce dédale verdoyant. Les feuilles s’entremêlaient les unes aux autres et bouchaient la clarté du soleil, ne demeurait dans la forêt qu’une pénombre effrayante. Marjolie, les lèvres serrées et le cœur battant la chamade, continua son chemin malgré tout, bravant la terreur qui l’avait envahie.
« Au bout de quelques minutes de marche rapide, elle rencontra un petit lapin blanc qui semblait renifler la végétation en bordure du sentier. Tout émue par l’apparition de ce bel animal, elle se mit à sourire et s’en approcha rapidement. Le petit lapin leva son regard sur elle tout en mâchouillant une brindille d’herbe. Marjolie tendit la main mais, au moment où elle allait toucher le lapin blanc, elle se souvint des mots écrits dans le grimoire et, après s’être ravisé, retira sa main promptement. Tout à coup le petit animal se métamorphosa en un loup hideux, au poil gris et hérissé, aux yeux injectés de sang et aux crocs acérés. La fillette ramassa immédiatement une grosse branche morte et frappa le prédateur sur la tête à plusieurs reprises. L’animal poussa un cri et s’enfuit aux tréfonds de la forêt. Tout en s’enfonçant dans l’océan végétal, le loup hurla avec une voix qui ressemblait à celle d’une vieille femme qui répétait sans cesse qu’elle serait bientôt de retour. Marjolie serra encore plus fort le vieux livre contre sa poitrine et continua d’avancer tout en jetant des coups d’œil inquiets tout autour d’elle.
« Marjolie continuait d’avancer dans cette pénombre aveuglante au beau milieu un univers vert dans un silence qui n’était brisé que par le vol rare de quelques moucherons. Quelques dizaines de minutes passèrent et la faim commença à gronder au fond de son ventre. Elle n’avait fait qu’un repas frugal lors du petit-déjeuner et les efforts fournis lui avaient coûté beaucoup d’énergie. Elle avait si faim. Il fallait qu’elle mange. Ce fut à cet instant qu’au détour d’un virage, le sentier révéla un buisson aux feuilles larges et pleines de sève. Accrochées au bout de chaque branchette, d’énormes baies rouges pendaient mollement dans un halo de lumière provenant d’on ne sait où, comme par magie. Son ventre gronda. Marjolie avança vers le buisson avant de tendre la main vers l’une de ces baies lorsque lui revint en mémoire les dires du grimoire. Elle se recula vivement, juste au moment où les gigantesques baies rouges se mirent à se décomposer devant ses yeux éberlués et ne furent bientôt plus qu’un amas de chair noire flétrie dévorée par les vers. Marjolie se détourna et courut aussi vite qu’elle put afin de s’éloigner de ce charnier fruitier. Alors qu’elle était déjà loin du buisson, elle entendit une nouvelle fois la voix de la vieille femme qui lui criait qu’elles allaient se retrouver bientôt.
« Le temps passa et le sentier n’en finissait toujours pas. De temps en temps, au gré de leur volonté, la fillette entendait le pépiement innocent d’oiseaux qui voletaient d’arbre en arbre. Les pieds commençaient à lui faire mal et les jambes devenaient lourdes, une fatigue immense commençait à l’envahir. Il fallait qu’elle se repose un peu. Justes quelques secondes. Ce fut là qu’elle entraperçut à quelques mètres de là un gros arbre au tronc immense et aux racines apparentes entre lesquelles se nichait une épaisse mousse verdâtre. On aurait dit de petits coussins molletonneux. Marjolie bailla et, en boitant un peu, s’approcha lentement de l’arbre. Arrivée à destination, elle s’adossa contre le tronc et s’assit sur la mousse verte. Le silence. Là, immobile. Le grimoire. Les mots. Une lumière se fit dans son esprit. Comme si une décharge électrique avait traversé tout son corps, elle se releva d’un bond et se raidit. Brusquement, les racines se mirent à bouger, se déterrèrent et, une fois en l’air, tentèrent de se saisir de la petite fille. Elle se rua en avant et s’enfuit aussi vite qu’elle put. Alors qu’elle courrait, elle entendit une nouvelle fois au loin la voix de la vieille femme qui lui hurla cette fois que ce n’était que partie remise.
« Au bout de quelques secondes, elle entraperçut une lueur infime aux tréfonds de la forêt qui semblait luire d’un éclat particulier, comme le pétillement timide d’un diamant lové au fond de son écrin noir. Le cœur battant plus fort au creux de sa poitrine, elle marcha de plus en plus vite et aboutit finalement à une lumière qui la força à fermer les yeux quelques instants tant elle était intense. Elle les rouvrit et découvrit qu’elle se trouvait à l’entrée d’une petite clairière inondée par le soleil. L’herbe était sauvage et haute. Au milieu de cette clairière, elle remarqua un petit édifice de pierre : c’était un autel, c’était l’autel ! Elle courut jusqu’à lui. Là, sur une plaque de marbre aux veinules épaisses, elle découvrit une vielle clé en métal recouverte de rouille. Elle rouvrit le grimoire.
Prends la clé et avance tout droit
Prends garde à la fée, fillette
Prends donc la poudre d’escampette
Sous peu de temps je serai à toi
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