« Pour elle, encore une fois,
Faites luire les étoiles, illuminez le ciel,
Mais empêchez le soleil d’accomplir son rituel,
Encore une fois, rien qu’une fois, laissez la moi,
Pas trop luisant, je vous en prie, juste un instant,
Laissez la demeurer à mes côtés,
Ne me laissez pas sans sa mère à tout jamais. »
C’est peut-être comme cela que je dois commencer mon histoire, par ces paroles que j’ai si souvent répété en regardant le ciel, de la fenêtre de ma chambre. Si John savait que chaque soir, après qu’il m’ait bordé, je n’attendais que le bruit régulier de leur respiration pour aller guetter son arrivée…à elle, il ne me pardonnerait jamais, il voudrait m’emmener très loin, pour essayer de l’éloigner de moi.
Est-ce que Molly pourrait comprendre ? Elle me lit des histoires et m’appelle son « petit ange », elle vient me bercer quand je fais un cauchemar. Mais non, elle ne comprendrait pas cela, si elle l’apprenait, elle pleurerait surement et je n’aime pas la voir pleurer. Elle voudrait que je l’appelle maman, elle doit croire elle aussi que je suis loin d’elle, en sécurité dans ma chambre aux murs roses et violets. Mais je ne l’oublierais pas, je ne veux pas écouter tous ces gens qui me disent d’être bien gentille et de dire à mes camarades de classe que John et Molly sont mes vrais parents, ils ne le sont pas et ne le seront jamais. Je ne leur ressemble d’ailleurs pas du tout, non, j’ai ses yeux à elle, je l’ai bien vu en m’observant dans le petit miroir de la salle de bain. Personne ne possède cette couleur d’yeux dans le village, je ne suis même pas certaine que qui que ce soit dans le monde entier ait cette couleur d’yeux, il n’y a qu’elle et moi.
A cause de cela, certains sont parfois étranges avec moi, ils voudraient oublier qu’ils ont un jour croisé son regard, et même qu’elle a pu simplement exister. Je la leur rappelle, beaucoup de ceux qui savent d’où je viens craignent qu’un beau jour je devienne comme elle. Pour eux, John et Molly n’auraient jamais du m’accueillir dans leur maison, pourtant ils l’ont fait, en sachant ce que j’étais ils ont accepté de s’occuper de moi, ils voudraient pouvoir me changer et pour cela ils croient qu’en me transformant en poupée de porcelaine ils changeront ma nature. En vérité, j’ai peur moi aussi que mon éducation ne puisse pas changer ce que je porte au fond de moi, même si elle est tout pour moi, c’est au monde dans lequel je grandis que je veux appartenir.
Son monde à elle, je ne le connais pas, je ne peux le comprendre qu’en plongeant mon regard dans le sien et je n’y vois que la souffrance. Pas la sienne, non, elle sait trop bien cacher ce qu’elle peut ressentir, mais celle de milliers d’autres êtres, tant de visages hurlants semblent s’amonceler derrière ses si jolis yeux. Il m’est arrivé de lui demander ce que signifiait ce que je pouvais voir en elle, sa réponse est toujours la même et me fait chaque fois frissonner, elle me dit que l’explication est qu’elle n’est ni plus ni moins…qu’un monstre. Comment peut-elle être un monstre alors que ses larmes coulent chaque fois que l’aurore se rapproche ? Et dans ce cas, suis-je un monstre moi aussi ? Je n’ose pas le lui demander, je refuse que mon destin soit gravé dans la pierre, j’aurai 12 ans le mois prochain et si je dois changer un jour je refuse de me laisser envahir pas cette peur qui ne me quitte pourtant jamais.
Je sais bien qu’elle m’a éloignée d’elle pour que jamais je ne sache vraiment ce qu’elle est condamnée à vivre, plus le temps passe et plus je comprends son geste mais je mentirai si je ne disais pas que ce sont ses bras à elle qui chaque instant me manquent. Ce soir encore je l’attendrai, tout en sachant qu’il se pourrait qu’un jour je ne vois plus sa silhouette se découper sous le grand chêne du jardin, mais si ce jour devait arriver je n’aurai pas besoin de scruter l’obscurité le cœur battant, je saurai…Je sais que je saurai, si tout le monde s’emploie a ce que je sois normale on ne peut pas empêcher qu’une partie de moi vibre a l’unisson avec les « autres », ma mère évidement mais aussi tous ceux qui appartiennent à son monde. Je ne les perçois jamais totalement mais je sais qu’ils sont là, peut être que si je me concentrai vraiment je pourrai même les contacter, mais je n’essaierai pas, je ne ferai que faire courir un danger à John et Molly et aussi à maman probablement.
Elle seule connait le secret de ma naissance et doit rester la seule à le connaitre, il y aura des choses que je ne saurai jamais et ses silences m’avertissent que je ne dois pas chercher de réponses, de par ma naissance je suis un être exceptionnel et mystérieux, plus encore qu’elle ne l’est. Je pourrai être fière de cela mais en me projetant dans l’avenir je me demande si cette particularité ne risque pas de me vouer à une solitude encore plus grande que la sienne.
Je ne peux que soupirer face a toutes ces angoisses qui hantent mes journées ensoleillées de petite fille, mais il me suffit d’être a ses côtés pour retrouver ma sérénité, même si je sais que ce n’est que pour un court moment et qu’il n’y a que l’obscurité qui puisse m’apporter ce réconfort, peu importe, je n’ai pas besoin de soleil, je ne me perdrai jamais tant qu’elle sera là, j’affronterai n’importe quelle ombre pour ne la voir qu’une minute encore, pour pouvoir ne serai-ce qu’effleurer sa jolie robe de duchesse rouge sang, pour elle tout simplement.
Elle viendra encore j’en suis certaine, je ne veux pas en douter, mais je réalise que je ne vous l’ai pas dit, ma mère est un Vampire…
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Style : Nouvelle | Par Myriade | Voir tous ses textes | Visite : 205
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