Publier vos poèmes, nouvelles, histoires, pensées sur Mytexte

Réminiscences par w

Réminiscences

  

       L’aube, dans son ineffable surréalisme, peint d’un azur poétique la torpeur nocturne. L’air vif me ranime et une brise légère m’emporte dans le lointain tel un fétu de paille onirique sur le paysage de ma vie. Je suis assis sur ces marches de pierre que je connais tant, là, à l’entrée de cette demeure qui m’est si familière. Mes pensées font jaillir en moi le feu d’artifices du passé en une nuée mystérieuse.

 

       Je vivais alors ici, au premier étage du 5 rue de la vieille poste, dans le canton du val d’argent, dans la ville au passé minier de Sainte-Marie-aux-Mines. Mes premières années avaient été bonheur et sérénité au sein d’une famille aimante. Ma vie ressemblait au cours d’une rivière calme dont les rives étaient peuplées de joncs délicats et de fleurs aux saveurs subtiles.

       J’arrêtai le tourne-disque, rangeai le 33 tours dans sa pochette et sortis de ma chambre. Le parfum enivrant de ma mère s’insinua dans tous mes pores en un nappage délicat de douceur indescriptible. Maman m’attendait à la porte d’entrée. Elle me remit mon goûter m’embrassa et me laissa m’en aller. Je dévalai les escaliers et sortit de ma maison. Je jetai un regard sur une maison un peu plus loin dans l’espoir d’entrevoir à travers une fenêtre la petite silhouette mignonne de Maryline, ma voisine, qui était ma seule vraie amie. Mais je savais bien qu’elle était déjà partie en compagnie de ses amies à l’école, celle où j’allais aussi me rendre maintenant.

       A l’instar d’une gravure d’amour dans le bois tendre d’un arbre gigantesque, une musique envoutante ne quittait pas mon esprit tout au long de mon parcours. C’était la Danse de la fée de la prune sacrée, un extrait de Casse-noisette de Tchaïkovski, que je ne cessais d’écouter tous les matins et dont je venais encore de goûter la délicatesse veloutée de sa mélodie quelques minutes auparavant. Les notes s’entrechoquaient dans ma tête en des explosions d’harmonies rares et enivrantes. Je quittai la rue de la vieille poste et pénétrai dans celle de Lattre de Tassigny.

       Les vitrines du magasin Votrino étalaient en une luxuriance étonnante des dizaines et dizaines de livres de poche ou reliés dont chacun d’entre eux était un univers unique dans lequel je voulais plonger. Mais je n’avais pas assez de temps pour tous les lire donc, chaque matin, je collais mes yeux sur les vitrines et tentais naïvement d’entrer en eux ne fut-ce que pour quelques secondes minuscules. Les livres m’étaient vie, un ailleurs de bonheur où, durant des heures, je côtoyais l’impossible et l’infini dans la splendeur des mots alignés. Je quittai Votrino et avançai en direction de l’établissement scolaire.

       Je passai devant le magasin des sœurs Schwartz, deux vieilles juives passées maîtres dans le commerce du tissu. Les clients ne désemplissaient la grande salle de vente et les rouleaux de textile se déroulaient à longueur de journée sur des kilomètres et des kilomètres. Je marchai encore un peu avant d’arriver au poste de la police communale à travers une fenêtre duquel j’entendais toujours les deux agents de la ville rire tout en entendant les verres d’alcool s’entrechoquer et en sentant une odeur suspecte de cigarette au tabac bien étrange… Et je tournai comme toujours à gauche.

       Après le passage piéton, j’entrai dans la rue Jean Paul Kuhn ou une immense allée boisée m’ouvrait une haie d’honneur vers l’école Sainte-Geneviève dont le portail de métal demeurait perpétuellement ouvert tel les portes du Paradis aux âmes égarées. Et c’était bel et bien des bonnes-sœurs qui tenaient l’établissement, des sœurs bonnes de cœur comme sœur Angèle, ma maîtresse qui était d’une telle gentillesse avec moi et que j’aimais par-dessus tout. Une cour immense, dans laquelle s’ébattaient deux cents enfants où je reconnus ma Maryline, amenaient en une perspective enchanteresse vers un bâtiment immense aux façades d’une blancheur opaline, à la toiture d’un noir d’ébène et aux fenêtres scintillant sous l’éclat chatoyant du soleil matinal. Et c’était derrière ces fenêtres que se passaient mes journées en de longues heures de travail acharné où j’allais caresser l’épiderme savoureux du savoir.

 

       Le soleil de midi titille ma peau de ses doigts lumineux et de son zénith il surplombe la voûte céleste dans lequel ne voyagent que quelques moutons égarés aux bêlements vrombissant. Je vais et je viens dans la rue sans savoir que faire : je ne peux me décider à quitter mon passé ou bien à rester à ressasser un temps d’antan tant tentant. Je demeure dans l’expectative, attendant en vain qu’un évènement inattendu vienne répondre à mon questionnement. Mais rien ne vient sinon le sempiternel croassement des corbeaux qui, juchés sur les gouttières, semblent se moquer de mon errance dans les fragrances de mon passé dépassé.

 

       Loin, si loin de moi, les nuances subtiles des jeux de l’enfance ; alors que je venais d’atteindre l’adolescence, mon esprit s’était fait cœur qui ne battait que pour celle que je connaissais depuis tant de temps : la douce et belle Maryline dont j’observais chaque nuit la divine silhouette à travers les croisées de sa chambre à coucher. Je fermai la porte d’entrée et plongeai dans la bourrasque qui frappait mon univers extérieur en des claquements cinglants.

       Les écouteurs sur les oreilles, j’écoutais la lente mélodie distillée par mon walkman à cassettes qui jouait inlassablement la Danse de la fée de la prune sacrée. Je me laissais emporter par le courant serein de la musique et passait devant le magasin Votrino à travers les vitres immaculées duquel les ouvrages reliés me lançaient un appel désespéré pour que je les lusse tous. Mais jamais de toute ma vie je n’aurais eu le temps se satisfaire ce besoin devenu désir de lecture, puisque mes yeux n’étaient que planète bleue et la littérature univers infini.

       Et je marchais encore et encore sur ce chemin solitaire au beau milieu d’une foule de jeunes gens qui m’ignoraient et m’indifféraient, moi, dont les pensées n’allaient que vers la belle Maryline au regard doux, elle, la seule fille intéressante en ces bas monde. J’allais donc de bon train dans la rue du Général Bourgeois et arrivai à hauteur de la l’épicerie-charcuterie Chez Ignace à la devanture de laquelle une tête de cochon tirait une épaisse langue rouge aussi rouge que le rouge qui couvrait le visage d’Ignace dont les cadavres de bouteilles de vin jonchaient l’arrière-salle de son magasin.

       Les bruits émis par la meute qui m’entourait ne trouvaient d’écho que dans le silence de mon âme toujours en proie aux flammes de l’envie de Maryline dont le parfum m’était souvenir d’ivresse. Sur la route du stade, je saluai comme tous les matins mon oncle Bernard dont la vie se passait derrière les façades noircies de cet immeuble HLM qui avait moins de point commun avec une habitation qu’avec une cage de lapin. Et j’aboutis enfin au collège Jean-Georges Reber à l’intérieur duquel je m’engouffrerai pour m’alanguir durant des heures à rêvasser de Maryline à la voix suave tout en éludant les péroraisons stériles des professeurs. Mon adolescence ne fut que puissance de la passion pour cette jeune femme qui m’attirait tant.

 

       De son haleine ténébreuse le crépuscule envahit lentement la plénitude du jour, tandis que je laisse vagabonder mes pensées assis, là, sur ce banc au bois vermoulu, à regarder ma maison natale s’enfoncer délicatement dans le drapé nocturne. J’expire soudain une volute de fumée de mes poumons, ce brouillard évanescent dans lequel se consume mon passé en un feu de réminiscences.

 

       Comme à l’accoutumée, je claquais la porte de ma demeure avant d’aller d’un pas lent en direction du lycée. De mon baladeur CD au volume mis à fond, j’écoutais avec ravissement la danse de la fée de la prune sacrée en jetant un regard vide en direction de la fenêtre de Maryline. Mais nulle forme exquise sous mes yeux, juste un vide abyssal dans lequel errait mon cœur en peine. Elle, elle passait tout son temps avec son amie, ne me jetant plus le moindre coup d’œil, me laissant à mon errance sentimentale, me délaissant dans ma désespérance émotionnelle.

       Je tournai à gauche, m’approchai de chez Votrino et, en prenant tout mon temps, je me laissai gagner par le plaisir de tous ses livres anciens dont les couvertures dissimulaient pudiquement la richesse de la connaissance lovée dans son écrin de papier jauni. Ma soif d’apprendre avait atteint son paroxysme, ma faim de lire me faisait dévorer au moins quatre ouvrages par semaine, sans que jamais je ne pusse me rassasier tant ma gourmandise n’avait point de limites. A défaut d’un cœur empreint d’amour, j’avais un esprit empli de mots.

       J’avançais le long de la rue Kroeber et mes mis bientôt longer lentement le bâtiment dans lequel se trouvait la salle paroissiale où le pasteur Jost, comme chaque mercredi, prêchait à quelques retraités lobotomisés les aventures épiques d’un Jésus Christ superstar, héros du peuple et, selon ses propres termes, le premier communiste de l’Histoire. Je croisai ensuite l’entrée de la manufacture de textile Edler Lepavec où mon père, besogneux invétéré, suait à son travail à créer puis vendre des textiles haut-de-gamme à des grands couturiers et des confectionneurs de renom. Comme j’étais fier d’avoir un papa qui avait réussi sa vie professionnelle à la force de ses poignets.

       Et j’arrivai à la rue Osmont niché au cœur de laquelle le lycée Louise Weiss se dévoilait dans toute la splendeur de son architecture Second-Empire. C’était le plus petit lycée de France, il n’y avait donc pas foule dans la cour intérieure, juste quelques dizaines d’étudiants qui, en petits groupes, étaient disséminés aux quatre coins de l’espace verdoyant. Je me faufilais parmi eux, toujours en vagabond de la parole, cherchant vainement des yeux le corps aux courbures délicates de Maryline. Je ne la trouvai pas, à l’instar des jours, des semaines et des mois précédents, puisqu’elle préférait rester enfermée à l’intérieur de l’édifice en compagnie de son amie, toutes deux seules, à se parler de je ne sais qui, à se faire je ne sais quoi. Et la musique de Tchaïkovski m’accompagna jusqu’à ce que la sonnerie de la cloche retentît.

 

       La nuit a revêtu son déguisement de noirceurs moirées et, en l’absence de toute étoile, ne demeure que la lune rousse comme seule lumière dans cette petite rue qui semble pourtant si immense, immense comme la profondeur de mon passé où se débat ma jeunesse passée afin de rejaillir de moi. Debout, au milieu de la rue, j’éteins ma dernière cigarette avant d’écraser mon paquet du pied. Je plonge mon regard dans les yeux aux paupières baissées de ma maison natale qui semble me héler, me dire d’entrer en elle pour parcourir l’univers de mon enfance. J’allume mon lecteur MP3 et lance une musique que je n’avais plus écouté depuis des années : la danse de la fée de la prune sacrée, l’extrait de Casse-noisette de Tchaïkovski. Alors que la mélodie délicate enivre mes sens de sa caresse voluptueuse, j’aperçois soudain une ombre se glisser du coin de la rue et glisser lentement vers moi. Les réverbères s’allument brusquement et je vois une main qui tient un sachet au nom de Votrino à l’intérieur duquel je distingue la forme d’un livre volumineux. L’ombre s’approche délicatement et la lumière jaune du lampadaire avoisinant glisse de son ventre vers sa poitrine avant d’atteindre son cou. Le temps se fige. Il se fait silence. Son visage apparaît alors dans le nappage de lumière et je la reconnais : c’est elle, elle que je n’avais plus rencontré depuis une dizaine d’années, elle à laquelle toutes mes pensées me ramènent sempiternellement depuis trente ans déjà. Oui, c’est elle… Elle me sourit. Elle. C’est Maryline...

"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : Nouvelle | Par w | Voir tous ses textes | Visite : 417

Coup de cœur : 9 / Technique : 11

Commentaires :

pseudo : Mignardise 974

un texte que j'ai dévoré CDC

pseudo : lutece

...Comme quoi, tout arrive à point pour qui sait attendre!!!!

pseudo : w

Merci Mignardise. Tu as un gros appétit, je vois ;-) C'est vrai lutece, parfois le destin nous fait languir pour mieux nous rassasier.

pseudo : Iloa

Sublime...J'ai même ramassé les miettes que Mignardise a laissées. Sourire...Merci à toi W.

pseudo : féfée

Superbe ! CDC

pseudo : w

lol Iloa tu es très drôle. tu es une vraie gourmande. Merci féfée. Je vous embrasse toutes les deux.

pseudo : Claire Selva

Sublime texte extrêmement bien écrit et quel narrateur ! Immense CDC à Monsieur W !