Ainsi sonne le glas de mes vaines illusions dans la pénombre d’une existence qui ne fut rempli que par la lourdeur assassine du silence. Sous la chape glaciale de ce marbre de désolation, ne demeurera aucun souvenir de ce que je fus sinon l’écho strident de ce rire, moqueries incessantes de l’Invisible s’étant délecté d’avoir assisté au spectacle tragicomique de ce pantin désarticulé que je fus. Tout passe, tout trépasse, tout s’efface tôt ou tard ; mais, en vérité, une lampe peut-elle vraiment s’éteindre définitivement si elle n’a jamais été allumée ? A quoi bon craindre la mort si sa vie ne se révéla être qu’un désert aride où le sable de l’espoir fut balayé par le vent violent de l’absence ? Rien. Le néant comme écho. L’existence est un espace froid et stérile dans lequel ne subsistent que des particules éternelles de regrets. C’est un peu comme marcher dans la neige, se retourner et constater avec désarroi que l’empreinte de ses pas s’est déjà effacée. De moi ne demeurera que l’absence, toile blanche que le pinceau d’aucun Maître n’aura effleurée. Et dans le crépuscule de cette journée au ciel obscurci par des nuages menaçants et noirs ne résonne que le chuintement sinistre de mes soupirs affligés.
Dans le labyrinthe lugubre de ma mémoire erre le spectre décharné de mes espoirs déçus. Les membres anguleux. Le regard fou. La figure aux traits crispés. Perdu dans l’immensité de ma détresse, je ne trouve de refuge que dans l’apitoiement sur moi-même, miroir brisé du narcissisme. En flots continus se déversent sur mes yeux les images saturées de mon passé, comme autant de coups de fouet lacérant la peau de l’esclave. Une mosaïque rainurée aux tesselles corrodées compose l’image floue d’un visage, un visage blême, un visage aux lignes cassantes, un visage qui n’exprime aucun sentiment, un visage marqué par le sceau funeste du pourquoi. Comme il est étrange de constater que je ne me remémore le visage funèbre de mon père qu’en baissant mes paupières, comme si seule la nuit pouvait faire briller l’amour que j’éprouvais pour lui. La nostalgie filiale est une affliction sans fin qui se prélasse aux tréfonds des cœurs égarés. Egarée comme la forme fantomatique de ma mère qui s’estompe dans le linceul sordide du manque d’amour. Qu’il est ironique de constater que mon futur n’est qu’éphémère, alors que mon passé perdure encore et toujours dans ma mémoire. Je suis perdu à jamais. Une branche peut repousser, pas une racine. Pour moi, le mot amour ne peut se graver que dans le marbre.
A toute fin, il y a un début, mais il y a des débuts qui sont déjà des fins. C’est un peu comme naître dans une tombe. Les chrysanthèmes s’abreuvent de sang pour fleurir dans l’immensité de la mort. Le fil fragile de mon vécu se tend vers l’infini, mais l’infini n’est fait que de rien, vertige affolant face au gouffre abyssal de mes projets qui ne se sont jamais réalisés. Entreprendre, c’est prendre au destin ce qu’il nous a refusé, un peu comme s’il n’y avait d’exutoire à la fatalité que dans la folie de fuir toujours plus en avant. Mais la maison que je me suis construite n’a que les fondations de ma naissance et la toiture de mon trépas, pas de murs solides derrière lesquels je pourrais me protéger de la tempête, pas de fenêtres à travers lesquelles je pourrais admirer la beauté d’un soleil de joie épinglé dans un ciel de sérénité, pas de porte par delà laquelle je pourrais explorer tous ces univers d’amour à donner, à recevoir, à partager. Juste une cave humide et ténébreuse où s’active une chaudière dans laquelle brûle un feu de chaos, juste une cheminée de laquelle s’échappe la fumée de mes envies incinérées. L’architecture de la vie est un art dont je ne connais que les ruines.
Et je t’ai aimé pourtant, tel l’enfant innocent qui tend la main pour attraper la lune. Inaccessible. Il est curieux de constater qu’on ne désire le plus au monde que ce que l’on ne pourra jamais obtenir, c’est un peu comme préférer la croyance fervente à la certitude logique… Mais l’amour avec un grand A, c’est un « Ah », c’est un cri, c’est la plainte assourdissante d’une voix au sommet d’une colline de désir dont le son se répand et s’étiole dans la vallée de la désillusion. Je t’ai aimé, oui, mais en moi bouillaient les eaux furibondes de la détestation, une lame de fond qui tôt ou tard allait déchirer la quiétude des flots et les transformer en vagues véhémentes et destructrices. C’est le principe « matière-antimatière » : pour chaque particule de matière, il existe une particule d’antimatière, son double mais son opposé, le reflet parfait mais inversé de notre moi. En moi, nous étions deux. Complémentarité ? Incompatibilité ! Rivalité, compétition, combat. Et dans une lutte il faut toujours un perdant et un gagnant. Je a perdu, moi a gagné. Je t’ai haï comme je t’ai aimé… avec une passion exacerbée. Et ce fut ainsi que dans ma psyché délétère Eve devint Lilith. Du jour à la nuit, du paradis à l’enfer, de l’amour à la haine. Ce fut un « testamant ». Après, il ne resta plus que le chaos.
Bientôt. Très bientôt. Ce que je n’eus pas le courage de prendre il y a deux ans alors que je le voulais tant, c’est la nature qui me l’offre aujourd’hui alors que je n’en veux plus. Soit… J’accepte en riant cet ultime cadeau comme s’il s’agissait d’un signe ironique sur la signification de mon existence. Car je comprends à présent le sens de la vie. L’univers n’est qu’un vaste laboratoire dont les dieux sont les scientifiques et les êtres humains les cobayes. Les divinités se fichent éperdument de leurs guinea pigs, ils ne ressentent rien pour eux alors qu’eux ressentent tant de choses pour leurs maîtres – c’est le syndrome de l’enfant battu par ses parents en quelque sorte. Même si les barreaux de ma cage sont dorés, je ne puis plus les supporter. Et comme lutter signifie perdurer, donc continuer à vivre comme un rat de laboratoire, je me résigne à contrecœur à perdre la partie. Naturellement. Sans tricher. En laissant faire sans intervenir. Mon passé est poussière, mon présent est vide et mon futur est néant. Le temps tempétueux de mes mots. Mon verbe se conjugue au plus qu’imparfait. Je suis le sujet de mes maux. « All things must pass » chantait si justement George - il avait vu juste, “And in the end, the love you take is equal to the love you make » chantait Paul – je n’ai quasiment rien donné, je n’ai donc quasiment rien reçu. Mes actes sont un boomerang, et je ne m’en rends compte que maintenant, bien trop tard. Sur cet ultime chemin que j’emprunte avec cependant une larme à l’œil, je songe à ceux - si rares ! - que j’ai si mal aimés. Ô repentirs à la source inépuisable que je transporte dans mon baluchon existentiel comme un poids mort. Echec complet. Alors que je m’approche si vite de la fin, s’entrechoquent en moi les souvenirs de ma jeunesse ; mais leurs couleurs vives ont pali, le chatoyant s’est transformé en blafard. Tout cela fut inutile. « Le fait d’être » rime avec « disparaître ». Mon corps va se décomposer lentement mais sûrement, mon esprit va se désagréger intégralement, mes émotions vont s’évaporer à jamais ; de moi ne subsistera plus rien, ni enfants héritiers de ce que je fus, de ce que je fis, ni œuvres témoignant de l’existence éphémère de son auteur ; juste le vide. Let it be…
Au fond, je ne regrette finalement qu’une seule chose… c’est d’être né.
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Commentaires :
pseudo : lutece
Heureuse d'avoir bien lu ton "accro" avant ton texte, sans cela je me serais inquiétée! Mais bon le passé est ce qu'il est, et , personnellement, je préfère regarder devant moi, car l'avenir n'est pas forcément pire que le passé! Gros bisou amical et bien sûr CDC amplement mérité
pseudo : Iloa
Moi, je me demande ce qui peut faire souffrir autant un être...Mais est ce vraiment le fait qui compte ? ou la manière dont il est travaillé dans sa tête...Ton texte est bouleversant de souffrance.
pseudo : damona morrigan
D'après tes textes, la traversée du désert a été longue pour toi, suis contente que tu t'en es sorti, mon petit scribe ! Big CDC for you et en prime big bisou !
pseudo : zhelaniya anastasya
Je connais des vertiges bien plus plaisant et je ne regrette pas du tout d'être née.
pseudo : w
Merci à vous quatre pour vos affectueux commentaires. Les ténèbres sont derrière moi et j'avance vers un horizon ensoleillé. Je vous embrasse bien fort
pseudo : kamijo
Ô je suis rassuré de vous l'entendre dire. Très bon texte mon cher, félicitations. CDC
pseudo : féfée
Amer, désespéré, d'une vérité glaciale, mais sublimement écrit !!! grand cdc et techn
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