J’entends. Je sens, je respire, je supporte. Il est là, cet indicible murmure, ce battement sourd dans mon corps. Le bois de ses sabots cogne contre les pavés du crime. Un crime oui, il a bien fallu un crime pour qu’on m’affuble d’une telle peine. Sans doute ais-je courtisé une dame de Satan, ou peut-être était-ce cet ange qui passant au pas m’a salué d’un baiser. Comment savoir avec tout ce qui me tombe du ciel ou me revient des incandescentes profondeurs ? Ils reviennent, ils reviennent me chercher, c’est cela ! Mais je suis encore enchaîné à cette bonne vieille terre, celle-là même qui m’a vu naître et me verra partir en fumée. Et tant que ce mal en moi ne m’aura pas fait taire, le ciel et l’enfer peuvent bien louer et maudire, je ne leur reviendrai pas.
Un jour, j’ai cru que c’était l’amour. L’amour exècre, l’amour exulte, tant et si bien qu’on nous jalouse et nous maudit. Et la nuit, nous nous sentons pousser des ailes, nous pourrions voler, virevolter entre les airs et les gens, entre nos pairs et le vent. Sauf que nous volons pour fuir leurs fourches et leurs torches. Ils n’ont de cesse de nous pourchasser jusqu’à nous avoir troué la peau et planté notre tête sur un piquet. Parce que nous sommes différents, nous sommes différents d’eux, nous sommes différents parce que nous n’avons pas le même mal. Le nôtre ne tient qu’à une personne, le leur tient au monde entier. Et pour que nous les rejoignions, ils nous ôtent cette personne. Alors l’équilibre est rompu, nos ailes se froissent et le feu qui nous réchauffait nous brûle à présent. Mais mon mal n’est plus celui-là.
Puis j’ai cru à la haine. Une haine si forte qu’elle transpercerait mon crâne et le ciel avec. J’embrocherais tous ceux que je hais, puis tous ceux que j’aimais, et ceux que j’aime. Je me haïrais à mon tour, et m’embrocherais aux côtés de ceux-là. Des poils me pousseraient sur tout le corps, mes crocs déchireraient la chair d’enfants et mes griffes celle de vierges condamnées à ne plus l’être. Par la violence et par le sang, je jurerais fidélité à la douleur. Je ferais de la peine et de la honte mes deux mamelles, j’en nourrirais toutes les femmes sur et sous terre, je déterrerais les cadavres purulents de ces chères disparues et tresserais des colliers de perles sur leur pâle et pauvre poitrail. Et j’en mourrais chaque fois. Comme je meurs aujourd’hui, à chaque coup battu entre mes douloureuses côtes.
Certains trouvent l’humour de dire que la mort n’est qu’un long suicide au ralenti, que tout ce qui s’allume est voué à s’éteindre un jour, ou une nuit, et nous naïfs de croire que nos constellations vivront à jamais. Moi je crois surtout que si la mort paraît si difficile, c’est parce qu’elle rend la vie si courte. Si nous vivions des centaines d’années, nous serions heureux de la prendre dans nos bras, nous l’appellerions à chaque instant, implorant notre tour dans la grande ronde de l’Humanité. Il n’en est rien. Alors je n’y pense pas.
Je ne pense pas. J’entends. Je sens, je respire, je supporte. Je vis ma mort parce que je la porte en moi. Il suffira d’une fois pour que toutes mes vies s’envolent, ou s’enterrent. Ils m’attendront. Ma mort se terre dans mon cœur. Jalouse, elle l’arrêtera pour me garder pour elle, pour elle toute seule.
Ma mort m’aime, et je l’aimerai en retour pour qu’elle ne me quitte pas.
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Commentaires :
pseudo : AlOranne
Tu as encore tant à découvrir du monde, des gens, de la vie. Tu es bien trop jeune pour mourir !
pseudo : lutece
...On en est tous là, nous pauvres mortels....voués à mourir! J'ai aimé ton texte! CDC
pseudo : Iloa
Holalala...Quel grand écrivain tu es ! Ton talent est immense ! Ta tête tourne bien...
pseudo : zhelaniya anastasya
Je te garderais bien pour moi toute seule jeune homme, pourquoi penser à la mort alors que la vie nous réserve tant de belles choses?
pseudo : damona morrigan
La mort t'aime comme elle nous aime tous ! Et, la vie aussi... J'aime la profondeur des mots délicatement choisis pour toucher l'attention du lecteur, pour l'emmener dans tes états d'âme. Pour ma part, c'est réussi, merci immense CDC
pseudo : féfée
Génial !!! grand cdc
pseudo : kamijo
Un texte qui me touche, une plume que je n'aurais sans doute jamais avec un telle profondeur. CD
pseudo : ifrit
Ne dites pas cela kamijo, votre plume possède son propre style, un style que j'affectionne vraiment ! Et je pense pouvoir affirmer ne pas être le seul. Merci à vous.
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