Je me réveille en sursaut. Je tâtonne dans l’obscurité ma table de chevet pour tenter de mettre la main sur ce fichu portable. Non, je n’ai pas de réveil. Je pense depuis des années à investir dans un réveil mais le temps passe trop vite. Ah, le voilà. 4h03. Merde. J’ai chaud. Je fais valser cette couverture qui m’étouffe, d’un coup de pied nerveux. J’ai été tiré de mon sommeil par un étrange rêve. Très étrange même. Il faut que vous sachiez que j’accorde une importance capitale à mes rêves. Ils sont les alarmes flagrantes de mon inconscient, les messagers fidèles de mes pensées secrètes, les portes d’accès à mon âme qui se déverrouillent seulement la nuit. Grande est ma déception, lorsque au réveil, je ne me souviens de rien! J’essaie toujours d’analyser, de déchiffrer la parole codée de cet inconscient qui la nuit ne se joue pas de moi. Mais là… Est -ce que j’ai vraiment envie de savoir?
Il y avait mon père. Et moi. Et ce marché au Mexique. Je ne suis pas certaine de pouvoir réellement dire que ce rêve se passait au Mexique, ni même où au Mexique d’ailleurs mais le Mexique c’est ce qui me vient spontanément. Je ne pourrais expliquer pourquoi mais de toute façon faut-il de la logique dans les rêves? Revenons-en au rêve, donc. Il y avait donc moi, mon père, dans ce marché. Le genre de marché bordélique, où s’entasse les touristes, marché fourre-tout aux milles couleurs où l’on peut sentir l’odeur du pays qu’on traverse. Et puis, soudain, une guerre sortie de nulle part. Non, pas une guerre. Un attentat en fait. Un attentat et une troupe de gars en cagoules qui balancent des bombes s’en s’arrêter. Du marché on ne voit plus que la fumée, la poussière et les gens qui courent. De l’odeur du pays on ne sent plus que la panique, la terreur de ces âmes qu’on a surpris. J’attrape la main de mon père et nous nous réfugions derrière un stand qui je ne sais par quel miracle, tiens encore debout. Nous ne sommes pas seuls. Il y a une dizaine de personnes là aussi, muets, figés et qui se demandent sans doute si ils vont mourir, eux aussi. Les bombes continuent à arriver là, sur ce marché. Ca se rapproche. Il faut sortir de là, vite. Je me transforme en une sorte d’espionne et tous mes gestes sont calculés. On dirais que j’ai fait ça toute ma vie. Je guide mon père dans cette anarchie. Bien sûr, nous évitons toutes les bombes. Je suis la rêveuse, je ne suis pas folle! Des cadavres entravent notre avancée discrète et maîtrisée. Des cadavres, j’en jamais vu. Enfin pas comme ceux que j’croise dans mon rêve. C’est laid la mort, oui c’est laid. J’ai toujours été fasciné par la mort, mais là ça ne me fascine plus du tout. Non, ça me donne juste envie de vomir. Nous sommes tout prêt de la sortie. Au bout de la victoire, la vie. Je suis recroquevillée sur mon père. C’est lui l’enfant et moi le parent protecteur. Je dois le sauver, au moins lui. Il ne peut pas mourir, il n’est pas prêt pour ça. Je lève la tête pour guetter et là.. Le groupe qui balancent les bombes. Ils sont là, ils fouillent, ils cherchent les survivants. Ils se rapprochent. Fin du rêve. Réveil en sursaut. Analyse? Je ne peux pas. Je suis encore dans cette sensation terrible. Je ne veux pas. Décoder ma relation avec mon père, non je ne veux pas enlever le pansement. Mon père et moi, nous avons une relation très particulière. Je l’aime bien sûr et il doit m’aimer aussi. C’est la convention qui attache les parents à leurs enfants. On s’aime donc. Mais on ne se connaît pas. Il est parti, j’avais 6 ans. Rectification: ma mère l’a quitté pour un autre homme, j’avais 6 ans. Après? Trou noir. Il me manque des épisodes. Je l’ai revu bien sûr, ensuite, tous les week end. Mais je n’aimais pas aller chez lui. Alors pour que le week end passe plus vite, je me suis construit des rituels. Et il m’a aidé à les construire. Il y avait la soupe du samedi soir. La glace chez Mc Donald’s du dimanche après midi, et la ballade du quartier ensuite. Mais moi, je n’ai jamais aimé marcher. Dans ces rituels que nous avons fait notre, nous ne nous sommes jamais dévoilés pourtant. Etrange non? Il ne pas vraiment éduquer, pas vraiment soutenu, pas vraiment été fier. Mais je ne lui donnais rien pour le faire. C’est un homme timide.
Pas vraiment un père. Mais je ne lui en veut pas. Pas consciemment en tout cas. Par son absence, il a surement façonné ma façon de voir l’amour, ma façon de voir les hommes. Là, je lui en veux. Il a surement aussi laissé sur moi son empreinte d’artiste. Mon père est un artiste. Il dessine, peint, écrit, joue de la musique et sculpte. De ça, je le remercie. Mais dans cet héritage, il aussi laissé la malédiction de l’artiste, le mal de vivre. Le fouet de l’auto-flagellation. Le sentiment d’être hors du monde. Le sentiment de ne pas être d’ici, de ne pas avoir de place. Dois-je aussi lui en vouloir pour ça? A quel point nos parents nous façonne? Je n’ai jamais aimé cette idée. Au moment où l’on est le plus démuni, le plus passif, petit être sans défense, sans arme, on est déjà piégé. La famille est un gouffre.
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Style : Pensée | Par lilooo | Voir tous ses textes | Visite : 470
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Commentaires :
pseudo : Mignardise 974
La famille ... gouffre ?! Mais surtout joyau pour moi. Après, ça dépend de sa famille. Pour le coup, je comprends cette vision. cdc
pseudo : féfée
Relation parents-enfants, rien de plus compliqué... On est tous victimes de nos parents et coupables de nos enfants... Je pense que personne n'est responsable dans ces histoires de famille, à part la vie ! Et ce sont toutes ces blessures et tous ces bonheurs qui font de nous des êtres uniques... Sinon je trouve ton texte très passionnant, et touchant. CDC
pseudo : Déméter
Un texte qui se lit bien ! je pense que le mal-aise vient du fait que peut-être tu n'as pas eu le sentiment d'être protégée par ton père. Ce n'est pas l'enfant qui doit protéger ses parents, les rôles ne doivent pas être inversés. Un père qui n'a pas pu faire mieux.
pseudo : Karoloth
A quel point nos parents nous façonnent-ils ? Impossible de savoir. Il faudrait en essayer d'autres. Mais dans ce cas, c'est tout l'environnement qui serait différent. Alors... CDC
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