Demain: J' ai regardé plus d' une fois au delà des montagnes, pour voir si la pluie arrivait enfin. Mais je ne l' ai jamais vue venir, pas depuis l' été 2015, lorsque les pôles ont totalement fondu, depuis, les glaces ne se sont jamais reformées et le climat a changé brusquement. J' habite en Haute-Savoie, les alpes ont pris des allures de montagnes afghanes où les torrents jadis verdoyants, ont laissé des canyons et des gorges asséchées. Ici en France, on vit à la manière de tribus africaines, dans des maisons sans eau courante, sans électricité, sans voiture aussi, pénurie de pétrole oblige. Chaque matin, je regarde au delà des montagnes, c' est une habitude que j' ai prise mais cela fait longtemps que je n' espère plus. Durant mes nuits agitées, je rêve de rivières, d' étangs et de chutes d' eau limpide, d' orages, de grêle, de pluies torrentielles, et je me réveille chaque fois un peu plus maigre qu 'avant. Plus bas, au fond de la vallée, s' étend la grande ville fantôme de Grenoble. Les grands magasins qui faisaient notre bonheur autrefois ont été pillés depuis longtemps et les bâtiments renvoient la lumière du soleil dans une chaleur insurmontable. L' homme est bien démuni maintenant qu' il n' a plus rien. Je regarde toujours au delà des montagnes, chaque matin de ma vie, et je n' espère toujours pas l' arrivée de la pluie. Je maigris toujours un peu plus, chaque jour de ma vie, mais maintenant j' espère ... ... J' espère que l' homme survivra et s' adaptera dans le respect de ce qui l' entoure. Ce matin, en regardant au delà des montagnes, le peu d' eau qu' il reste dans mon corps me sort par les yeux, alors pour le dernier jour de ma vie, j' espère ... j' espère ... j' espère ... M.A
Aujourd' hui cela fait trente ans que la pluie ne tombe plus sur la France. L' Europe toute entière est devenue un désert et les eaux des océans sont montées de plusieurs mètres, ainsi la mer Méditerranée a envahit la Camargue et remonté la vallée du Rhône jusqu' à Valence, l' Atlantique a rongé les forêts landaises et s' est engouffré dans l' estuaire de la Gironde bien plus loin que Bordeaux, la Manche et la Mer du Nord ont recouvert l’ ensemble des Pays-Bas et le nord de la France, la manche a apporté ses sables aux portes de Paris.
Les forêts ont été pétrifiées et il ne reste aujourd' hui que des statues de bois les unes aux côtés des autres, mais bien souvent, le feu a tout réduit en cendres.
La plupart des villes et des villages ont été abandonnés au profit d' habitations plus adaptées, plus rudimentaires aussi, autour de profonds puits dont l' eau n' est pas éternelle.
Les conflits entre "villages puits", comme on les appelle maintenant, sont fréquents et l' eau nécessaire à la vie est teintée de sang.
La semaine dernière, un puit voisin s' est tari et les habitants du village sont venus chez nous de nuit pour essayer de prendre quelques seaux.
La bataille a duré des heures et au matin, les morts jonchaient le sol poussiéreux. Dans le soleil levant déjà trés chaud, les corps se comptaient par dizaines.
On s' était battus au nom de la vie, car eux auraient tout fait pour posséder notre eau, et nous, sans cette eau, on n' aurait pas survécu. Des guerres inévitables qui s' annoncent toujours plus nombreuses. Et ce ciel qui ne lâche pas une goutte, et ce ciel toujours bleu ne représente plus le bonheur des beaux jours.
Les quelques buissons qui poussent encore sous le soleil servent à nourrir les chèvres du village qui fournissent un peu de lait et de viande. Quelques plantes sauvages sont comestibles, nous avons appris à les reconnaître.
Des voitures abandonnées remplissent les rues et laissent croire à un embouteillage figé dans le temps et le silence, seul un vent chaud siffle lourdement entre des géants de béton sans coeurs.
Ce fut une immense hécatombe. Un trés grand nombre de gens moururent de soif et ceux déjà affaiblis ne résistèrent pas aux épidémies de paludisme et de dengue, causées il y une vingtaine d' années par les moustiques sortis des fleuves transformés en marécages stagnants. Alors on est tous montés dans les montagnes pour échapper aux insectes et aujourd' hui on survit comme on peut.
Lorsque je me regarde dans un miroir et que je vois mon visage ridé et basané, je revois les reportages télévisés de l' époque, où l' on voyait des peuples nomades ou des tribus lointaines. Je souris un peu; nous aussi nous sommes des tribus, des nomades, toujours à la recherche d' un nouveau puit.
Les peuples modernes ont disparu, ne laissant derrière eux que des vestiges bétonnés ou goudronnés ensevelis petit à petit sous la poussière.
Je ne verrais pas cela, je vais bientôt mourir, comme beaucoup d' autres, comme des milliards d' autres depuis le début du changement climatique, mais à l' échelle de la terre, ce n' est pas une catastrophe, plutôt un soulagement, une libération, peut-être même qu' il était temps.
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Commentaires :
pseudo : Mignardise 974
Une découverte très intéressante ... ( je n'avais pas eu l'occasion de lire un de tes textes : es-tu un nouveau ? ça m'étonnerait ). Imaginer le monde en 2015, c'est une perspective de travail. Tout n'est que recommencement , alors ? Moi, j'y crois ! cdc
pseudo : Karoloth
Ouh... ça donne des frissons. Le plus triste c'est que dans quelques dizaines années, la description de notre pays pourait ressembler à celle que tu en fait. Qui peut dire de quoi sera fait demain ? CDC
pseudo : Cymer
Je ne suis pas nouveau mais je reviens aprés un break. Merci à vous. Je pense qu' il faut y voir une note d' espoir, repartir à zèro peut-être une chance. Bonne continuation.
pseudo : Mignardise 974
Merci à toi aussi. bonne continuation biz
pseudo : féfée
Un texte qui nous fait aimer la pluie !!! Bravo pour cette anticipation très réussie je trouve, et pleine d'émotion. CDC
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