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De l’abîme au firmament par w

De l’abîme au firmament

 

       La rivière de ma vie s’écoule, parfois paisiblement, parfois avec véhémence, le long des berges du temps passant. Mais c’est à contre courant que ma mémoire m’emporte et me fait naviguer sur les flots du passé persistant. Je me retourne et, sans la moindre peur de me transformer en statue de sel, je regarde les images floues mais durables des moments d’autrefois, plaie cicatrisée mais qui parfois m’élance, me fait ressentir que ce qui a été jadis demeure gravé dans le marbre de l’éternité. Je me souviens avec clarté.

       Je naviguais alors sur un radeau de fortune qui prenait l’eau et, jour après jour, s’enfonçait graduellement dans la fange aqueuse du néant. Pour tout éclairage je n’avais dans mes cieux de désespoir qu’un soleil noir qui, de ses rayons de perdition, peignait au pinceau amer les couleurs sombres de la peine insondable. Un univers de clair-obscur tout autour de moi où se glissaient subrepticement les ombres anguleuses des gens que j’avais aimé et qui m’avaient été arrachés par les mains osseuses du funeste destin. J’avais, mais je ne n’eus plus ; j’étais, puis ne fus plus ; être et avoir devinrent des verbes passifs, des verbes passés, des verbes de trépassés. Et ne demeura plus que le silence en guise de présence, que l’absence en guise de plaisance, que le vide encore et toujours… Or, elle était là, dessinant ses arabesques filandreuses dans l’horizon de ma peine ; à côté de moi, pour me tenir compagnie, tel un boulet aux pieds d’un bagnard ; en moi, comme l’essence visqueuse d’un sang de fatalité coulant dans mon être de perdition ; elle, la solitude abyssale. Les années passèrent dans un flux de désœuvrement et de névrose insondables : le printemps faisait éclore des fleurs fanées dans le jardin de mes souffrances, l’été accablait mon corps d’une chaleur étouffante qui faisait bouillir en moi les eaux d’un impossible oubli, l’automne désossait mon arbre généalogique et faisait chuter les feuilles meurtries et asséchées de ma vie abandonnée, l’hiver recouvrait d’un linceul poudreux les silhouettes énigmatiques des êtres qui avaient été si chers à mon cœur. Flottant sur le Styx de mon cœur brisé, mon âme s’émiettait et, lentement mais sûrement, devenait poussière morbide en lévitation au beau milieu d’un cyclone de haine. Je n’étais plus que le pâle reflet de ce que j’avais été, peinture d’une nature morte dont les couleurs se seraient estompées sous les rayons blafards du chaos existentiel. Je me trouvais au bord du gouffre, n’avais qu’un pas de plus à faire pour que tout cessât enfin.

        Et je fis ce pas. Tout ne fut plus qu’incandescence, jaune d’un sable dans un désert de furie, orange d’une rouille qui adhéra à ma peau comme des bandelettes de lin sur une momie de désolation, rouge d’un enfer où mon passé devint oubli, où mon présent devint gravure éternelle, où mon futur pénétra dans une impasse d’autodestruction à la violence inouïe. Les couleurs chaudes se révélèrent glaciales, telle une terre morte de laquelle n’émanerait que l’écho lointain d’une vie brisée. Je croyais que c’était la fin…

       Mais c’est dans les steppes les plus arides que la nature fait naître les fleurs les plus rares, les plus belles, les plus désireuses d’exister. Si mes jours d’après furent souffrances, les semaines devinrent convalescence, les mois se révélèrent soulagement et les années délivrance. Le temps fut à l’image du cycle d’une plante : au fond d’un sol épuisé naquit une graine fragile mais obstinée, une feuille rabougrie sortit de terre et trouva toute sa force dans l’eau des larmes du passé et l’irradiation d’un soleil renaissant, une tige instable mais pleine de force poussa inlassablement pour élever vers le firmament le bouton clos d’une rose d’espoir et d’amour à venir, et une fleur s’ouvrit, s’épanouit et répandit ses teintes sublimes de vie dans la prairie verdoyante du renouveau. Le souffle de la vie emplit mes poumons et me permit de respirer l’air du bien-être enfin retrouvé. Mes sens existentiels renaquirent de leurs cendres tel un phœnix de bonheur : mes yeux virent au-delà des montagnes infranchissables, mes oreilles entendirent le murmure doux d’un vent de réconfort, je sentis l’odeur subtile et enivrante du plaisir d’être et de devenir, de mes doigts je me mis à caresser le velours sensible de l’espoir renouvelé, je goutai enfin à la chair délicieuse de l’envie d’exister encore et toujours. La lumière venait de vaincre les ténèbres, la vie venait de vaincre la mort, je venais de retrouver la foi en moi-même.

       Et, désormais, mon présent est le socle d’un futur merveilleux à bâtir.

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Coup de cœur : 10 / Technique : 11

Commentaires :

pseudo : damona morrigan

Quelle merveille ! Je t'adore ! Merci du fond du coeur et big big CDC mon petit scribe adoré!

pseudo : damona morrigan

Quelle chance de pouvoir te lire ! Quel message sublime d'espoir pour tous ! Merci encore, je t'embrasse mon petit philippe ! Re-CDC !

pseudo : lutece

Mon Dieu que c'est beau. Je suis sous le charme,je bois tes mots qui sont comme un doux nectar. Merci à toi de me faire vibrer une fois de plus par ces mots. "envie d'exister", c'est magnifique! Très gros CDC à toi pour ce petit chef d'oeuvre

pseudo : damona morrigan

Oui lutèce il est si beau, il porte bien son titre yes w is the best of the best Re-Re-CDC !

pseudo : féfée

Oui, une vraie merveille ! Tu décris tellement bien ce phénomène de renaissance après la mort, que j'ai moi aussi vécu et ressenti. A l'époque j'en ai même fait un rêve impossible à décrire tellement il était merveilleux... CDC et techn

pseudo : Iloa

C'est magnifique. J'en ai des frissons tant cette lecture est touchante. Tu décris là une terrible descente aux enfers...et puis on remonte avec toi et notre cœur fait des bonds ! Immense CDC ! Merci à toi.

pseudo : w

Merci à toi ma damona qui sait si bien me comprendre. Tu es bien gentille lutece, toi qui sais deviner les soupirs qui se cachent derrière mes mots. Oui, féfée, les plus beaux soleils naissent après les nuits les plus noires. Iloa, mon nouvel univers se compose d'un ciel azurain où flottent des oiseaux au plumage cosurscant.