Il existe des ténèbres plus noires que l’encre sanglante des pleurs, il est des crocs plus acérés que les lames aiguisées des flammes, il demeure des abîmes plus profonds que la solitude infinie du cœur, il perdure des hivers plus froids que l’écho figé du silence, il vit en moi une mort plus ultime que la nuit des illusions. Dévastation. L’éternité est hantée par l’oubli, comme un fil tendu par delà le vide sur lequel aucun funambule ne marchera jamais. Et je m’évapore lentement dans la plénitude âcre du vide. A quoi bon ? Mon actif s’enfonce au plus bas d’un puits asséché, tandis que mon passif passe sous mes yeux chargé de son fardeau d’inanité. Qui suis-je sinon le commandant d’un vaisseau fantôme qui naviguerait sans but sur les eaux de la perdition ? Nemo. Le maelstrom de la décomposition m’emportera bientôt aux tréfonds d’un océan d’inexistence. C’est ainsi que s’achèvent tous les grimoires dont les formules ésotériques ont été écrites à l’encre invisible. Ma vie est un œil aveugle.
Recouvert de mes draps de soie qui me sont linceul doré, mon regard voilé se pose sur la silhouette angulaire de ce monolithe noir qui semble être l’ombre de mes désenchantements. Au centre de ce rectangle existentiel se matérialisent lentement les formes indistinctes d’une sphère à l’intérieur de laquelle se trémousse adorablement un fœtus. La naissance. L’innocence. L’enfance. Fragrances rares et subtiles d’un autrefois, mon autrefois. Mais ce bébé est si seul aux confins de cette cage circulaire.
Le brouillard opaque de ma mémoire se dissipe alors pour me laisser voir le paysage cloisonné de mon enfance. J’avais pour meilleur ami un être sans chair ni fluides, un être dont l’essence émanait du vide, un être dont la présence soulignait paradoxalement les absences dont je souffrais. Mon ami était le silence. Le silence est un tout, une entité à part entière, une forme de vie qui englobait tout mon univers. Le silence n’est pas muet, c’est un cri strident qui résonne dans le dédale psychologique de l’être qu’il accompagne. Et je me laissais bercer par sa musique douceâtre qui enivrait mes sens au point qu’il provoquait en moi un endormissement lent et voluptueux. Puis je me laissais voguer sur la rivière de l’onirisme. Sur ma barque, je suivais paisiblement le courant en voyant au loin l’horizon de ma vie. Mais, à présent, adulte, au seuil de mon anéantissement, je me rends compte avec effroi que l’eau était sable sec et stérile, que la barque était un cercueil au bois vermoulu, que l’horizon était une impasse. Le silence de mon enfance n’était que l’écho pervers du burin martelant la stèle de ma tombe. Silence je fus, silence je serai.
Que dire de tous ses battements de cœurs, expression de mes émois les plus intenses, qui ne reçurent pour réponse que le claquement sinistre d’une langue qui fouetta mes oreilles d’un non cinglant ? Aimer, c’est se trouver ; ne pas être aimé, c’est se perdre. Les étoiles se répondent les unes aux autres en chantant la mélopée du scintillement éternel ; mais la lune, isolée dans l’obscurité du mutisme, brille de manière blafarde. Une larme sélénite plongeant dans le vide des sentiments avortés. Aux autres l’amour, à moi la mort.
Et j’abandonne mon corps et mon esprit à l’univers comme une feuille morte qui se détacherait de sa branche et chuterait en tournoyant jusqu’au sol. Puisque je ne fus d’aucune utilité à quiconque de mon vivant, que je le devienne à mon trépas. Humus humain qui nourrira la vie par sa mort.
Quid de l’âme ? me demandera-t-on. Je n’y crois pas, je n’y crois plus. Il n’y a d’immatériel que nos illusions, ce qu’il nous reste est réalité concrète et tangible. Certes, je pense que l’Invisible existe, mais il s’agit d’un monde autre, d’entités qui nous identifient à eux comme pourrait s’identifier un chien à une puce. Nous ne sommes que des parasites grouillant qui ne survivent qu’en phagocytant les maigres ressources d’une petite planète vouée tôt ou tard à l’extinction. Le temps est un inlassable meurtrier dont nous sommes tous les victimes futures. Mourir est le signe qui symbolise la futilité de la vie. L’au revoir relève de la croyance, l’adieu de la certitude. Ephémère, voué à l’oubli et à l’anéantissement…
Je suis un musicien qui tire sa révérence sans avoir joué la moindre note.
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Style : Pensée | Par w | Voir tous ses textes | Visite : 448
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Commentaires :
pseudo : Androïde
" Je suis un musicien qui tire sa révérence sans avoir joué la moindre note." Magnifique.
pseudo : féfée
Un texte vraiment magnifique, profond et maîtrisé sur le gouffre du non-amour qui t'aspire. Je m'y suis retrouvée ! CDC
pseudo : w
Merci Androïde et féfée. Un texte duquel émane tous ces émois négatifs qui tissent en moi la toile des affres. Fort heureusement, à l'horizon, la lune se fait rousse...
pseudo : Lutece
Oui magnifique comme d'habitude tes mots me font vibrer par leur sens profond. Merci à toi W et grand CDC amplement mérité!
pseudo : w
Tu es bien gentille Lutece. C'est un texte qui contient beaucoup de moi. Une forme de miroir noirâtre.
pseudo : damona morrigan
Les emois négatifs qui existent en chacun de nous et qui sont là dans l'unique but de nous obliger à voir à l'interieur de nous-même, en commencant par notre premier souffle de cette vie-ci. Un grand changement s'opère au fond de toi, et te voilà musicien dont les notes parlent de l'invisible et de l'inconnu à travers des mots qui eux savent tout. Enorme CDC for you !
pseudo : w
Que de jolis mots qui montrent à ton scribe préférée à quel point tu es sa fan numéro 1 !!! Je t'embrasse trsè fort et te dis à bientôt.
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